L'histoire de Spotify, enfant prodigue du peer-to-peer #8 - A la conquête de l'Amérique
Huitième épisode d'un récit documenté de l'histoire de Spotify : un corsaire suédois du net, enfant prodigue du peer-to-peer héritier de Napster, devenu la killer-app musicale du XXIième siècle.
En l’espace de dix ans, le service de streaming musical Spotify, qui a dû batailler longtemps avant d’obtenir des licences de la part des maisons de disques, est devenu la principale source de revenus de l’industrie musicale dans le monde. Récit documenté, en plusieurs épisodes, de l’histoire de ce corsaire suédois du net, qui a mis un coup d’arrêt au piratage de musique en ligne et porte dignement, en véritable enfant prodigue du peer-to-peer, l’héritage de la révolution initiée par Napster en 1999.
Chapitre 1 | Chapitre 2 | Chapitre 3 | Chapitre 4 | Chapitre 5 | Chapitre 6 | Chapitre 7 | Chapitre 8
A la conquête de l’amérique
Fin octobre 2010, Spotify revendique 650 000 abonnés, dont 90 % ont souscrit à son offre mobile, sur un total de 10 millions d’utilisateurs actifs, soit un taux de conversion de 6,5 %, très inférieur aux ambitions de Sean Parker mais supérieur à celui de Skype. En Suède, Spotify rapporte déjà aux labels et maisons de disques plus que n’importe quel autre détaillant, en ligne ou hors ligne. Sur les neuf premiers mois de l’année 2009, les revenus de la musique enregistrée y ont progressé de 18 %, et ceux de la musique en ligne de 80 %.
Premiers accords avec deux majors aux US
La start-up a bénéficié de l’adoption récente d’une loi anti-piratage dans le pays et des poursuites lancées contre le site The Pirate Bay, qui ont favorisé une migration massive des internautes suédois du peer-to-peer vers le streaming. “Spotify est en passe de devenir le plus grand partenaire que nous ayons, confirme Jacob Herbst, directeur des ventes numériques chez Sony Music Suède. Nous avons déjà plusieurs artistes qui tirent 80% de leurs revenus de Spotify.”
Dans les mois qui viennent, Spotify, qui a imposé quelques limites à son service gratuit en amont (limitation du nombre d’heures d’écoute par mois après six mois, et du nombre de fois qu’un même titre peut être écouté) parvient à convaincre deux des trois majors du disque, Sony Music et Universal Music, de lui accorder des licences sur le territoire américain. Mais Warner Music fait encore de la résistance.
Edgar Bronfman Jr., PDG de Warner Music en 2011, se montre peu convaincu par le modèle de Spotify. (photo Chip Somodevilla)
“Les services de streaming gratuits ne sont pas une bonne chose pour l’industrie et, aussi loin qu’ira Warner Music, nous ne leur accorderons pas de licence. Ce n’est pas le genre d’approche que nous allons soutenir à l’avenir”, déclare son PDG Edgar Bronfman, lors de la présentation des résultats annuels de la compagnie. Le senior vice-président en charge du numérique chez Warner Music aux États-Unis, Stephen Bryan, l’avait déjà exprimé en termes plus policés quelques semaines plus tôt lors du Midem à Cannes : “Nous devons nous assurer de ne pas proposer une offre gratuite tellement convaincante que le consommateur ne verra pas la valeur ajoutée de la version payante”, avait-il déclaré.
Warner Music fait de la résistance
Les déclarations d’Edgar Bronfman interviennent dans un contexte où le marché du streaming gratuit a été quasiment décimé aux États-Unis. L’Europe, en revanche, voit émerger des acteurs du secteur, comme Spotify, à même de crédibiliser le modèle du freemium, qui vise à articuler offre gratuite de base et offre payante à valeur ajoutée. Les industriels de la musique semblent lui être beaucoup plus favorables sur le Vieux Continent. Le vent va finir par souffler en faveur de Spotify en Amérique du Nord.
La maison de disques Warner Music est à vendre. Son PDG Edgar Bronfman, et le consortium de fonds d’investissement qui en est propriétaire, cherchent à tirer le plus grand bénéfice de cette opération, et ont d’autres chats à fouetter que de passer un deal avec Spotify. L’acquéreur héritera de la patate chaude. La holding Access Industries de l’homme d’affaires russo-américain Len Blavatnick annonce son rachat de Warner Music pour 3,2 milliards de dollars au mois de mai 2011. Spotify espère pouvoir se lancer aux États-Unis au mois de juillet. La fenêtre de tir est très courte.
Au mois de juin 2011, la start-up annonce le bouclage d’une levée de fonds substantielle de 100 millions de dollars auprès d’un tour de table mené par le fonds de capital risque américain Accel Partners, basée à Palo Alto, qui valorise la compagnie à hauteur de un milliard d’euros. Ces fonds doivent notamment lui permettre de financer son lancement américain. Mais quelques jours avant la date officielle, qui a été annoncée, aucun accord n’a encore été conclu avec le nouveau propriétaire de Warner Music. La tension est à son comble.
L’entremise de Sean Parker
La légende veut que Sean Parker, ayant rejoint un petit groupe d’investisseurs qui s’était positionné face à l’offre d’Access Industries pour racheter la maison de disques, aurait proposé à Len Blavatnick le retrait de cette offre en échange de la garantie d’un accord avec Spotify. Cet accord est signé d’extrême justesse la veille du lancement aux États-Unis.
Daniel Ek, PDG de Spotify, lors de sa venue à Paris le 9 décembre 2011, à l’occasion de la conférence LeWeb, quelques mois après le lancement du service aux Etats-Unis. (photo Paul Farla / Official Le Web Photos)
Fin septembre 2011, Facebook annonce l’intégration de plusieurs services de média dans son interface, dont Spotify, qui n’a pas eu l’exclusivité espérée dans la musique, mais bénéficie d’un partenariat étroit et d’une forte intégration. Elle permet à de nombreux utilisateurs de Facebook de découvrir le service en voyant apparaître dans leur fil d’actualité ce qu’écoutent leurs amis sur Spotify, qu’ils peuvent écouter eux-mêmes s’ils le souhaitent sans quitter Facebook.
En l’espace de quelques jours, le nombre d’utilisateurs actifs de Spotify sur Facebook passe de 1,12 million à 3,25 millions. Et le nombre global d’utilisateurs actifs du service dans le mois (MAU, pour Monthly Average Users), boosté par ce partenariat, passe de 3 millions au mois de septembre à 7,5 millions au mois de novembre. Sur l’ensemble de l’année 2011, la compagnie réalise un chiffre d’affaires de 187,8 M€, et poste une perte nette de 45,4 M€.
[à suivre]
Spotify reveals €30m payout to rightsholders in 2010, Music Ally, 28 octobre 2010
Edgar Bronfan Conviced of Insider Trading, The Globe and Mail, 21 janvier 2011
Facebook Launches Integrations With Spotify, Netflix and More to Populate the Ticker with Playable Content, Adweek, 22 septembre 2011.