L'histoire de Spotify, enfant prodigue du peer-to-peer #9 - Une irrésistible ascension
Neuvième épisode d'un récit documenté de l'histoire de Spotify : un corsaire suédois du net, enfant prodigue du peer-to-peer héritier de Napster, devenu la killer-app musicale du XXIième siècle.
En l’espace de dix ans, le service de streaming musical Spotify, qui a dû batailler longtemps avant d’obtenir des licences de la part des maisons de disques, est devenu la principale source de revenus de l’industrie musicale dans le monde. Récit documenté, en plusieurs épisodes, de l’histoire de ce corsaire suédois du net, qui a mis un coup d’arrêt au piratage de musique en ligne et porte dignement, en véritable enfant prodigue du peer-to-peer, l’héritage de la révolution initiée par Napster en 1999.
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Une irrésistible ascension
L’histoire économique de Spotify est toute faite d’exponentielles : progression de son chiffre d’affaires et du coût de ses revenus ; évolution de son taux de conversion en abonnés payant, de sa valorisation ; et aussi creusement de ses pertes annuelles. De 430 M€ en 2012, le chiffre d’affaires de Spotify franchit la barre du milliard d’euros en 2014, approche celle des deux milliards en 2015, atteint celle des 4 milliards en 2016, et dépasse allègrement celle des 5 milliards en 2018.
Résultats financiers de Spotify de 2009 à 2018.
De manière assez régulière depuis 2012, l’abonnement pèse environ 90 % du chiffre d’affaires de la compagnie. La progression de son coût des revenus, composé à 80 % des royalties versées aux ayants droit de la musique, est un peu moins forte mais reste très prononcée. De 390 M€ en 2012 (90,5 % du CA), il atteint 1,7 milliard en 2015 (88,35 % du CA), et 3,9 milliards en 2018 (74,27 % du CA). Sur dix exercices fiscaux (de 2009 à 2018 inclus), le chiffre d’affaires cumulé de Spotify atteint 16,7 milliards d’euros, et le coût de ses revenus 13,6 milliards, soit un peu moins de 11 milliards d’euros reversés aux ayants droit de la musique.
La compagnie a investi 1,45 milliard d’euros en R&D sur la période 2009 – 2018, cumulé 2,5 milliards d’euros de pertes, et levé plus de 2,7 milliards d’euros auprès d’investisseurs lors d’une quinzaine de tours de table, ou sous la forme d’émissions d’obligations convertibles en actions. De un milliard d’euros lors de sa levée de fonds américaine en juin 2011, sa valorisation est passée à 3 milliards en novembre 2012, à 4,25 milliards un an plus tard, puis à 8,5 milliards lors d’une levée de fonds de 526 millions de dollars en juin 2015. Au cours de la journée de son introduction directe à la bourse de New York, en avril 2018, elle a frôlé les 30 milliards.
200 millions d’abonnés fin 2018
De 20 millions à fin 2012, le nombre d’utilisateurs mensuels actifs du service (MAU), désormais présent dans plusieurs dizaines de pays, a passé la barre des 50 millions courant 2014, puis celle des 100 millions courant 2016, et celle des 200 millions fin 2018. Spotify revendiquait 237 millions de MAU à la fin du premier semestre 2019.
Evolution du nombre d’utilisateurs actifs mensuel (MAU) de Spotify entre 2017 et 2019.
La progression du nombre de ses abonnés a été encore plus forte, ce qui a favorisé celle de son taux de conversion. De 2 millions à fin 2012, le nombre d’abonnés à Spotify atteignait 15 millions fin 2014, frôlait les 50 millions fin 2016, et a franchi la barre des 100 millions au premier trimestre 2019, atteignant 108 millions à la fin du premier semestre. Son taux de conversion en abonnés payant est passé quant à lui de 25 % en 2012 à 30 % en 2015, et était de 46,5 % en juin 2019.
De nombreuses acquisitions ont étayé l’histoire de Spotify, qui marquent l’évolution de sa stratégie, ses tâtonnements et ses errements, et illustre sa grande capacité d’adaptation : celles de la start-up de découverte musicale Tunigo en 2013 ; du moteur de recommandation The Echo Nest en 2014 ; du spécialiste de l’analyse des big datas Seed Scientific en 2015 ; de la plateforme de services de cloud Preact en 2016 ; du spécialiste de la reconnaissance musicale Sonalytics en 2017… et la même année, celles du spécialiste des technologies de blockchain Mediachain Lab ou encore de la start-up française Niland, spécialisée dans l’intelligence artificielle.
Une histoire qui commence à peine à s’écrire
Parmi ses acquisitions figure également Soundtrap – un studio de création musicale collaborative en temps réel –, les sociétés de production et de distribution de podcasts Gimlet et Anchor, ou encore le distributeur en ligne Distrokid. Ces acquisitions sont autant d’indices des pistes explorées par Spotify et des évolutions qu’est susceptible de connaître sa plateforme.
La compagnie n’en a peut-être pas fini d’investir massivement dans son développement, aussi bien technologique que géographique, sans que la quête de rentabilité ne devienne encore une priorité. Même si les "faibles" pertes enregistrées en 2018 – 78 M€, contre 1,2 milliard l’année précédente - peuvent laisser penser le contraire, Spotify ne prend toujours pas le chemin de devenir profitable.
Début avril 2018, Spotify est valorisée près de 30 milliads de dollars lors de son introduction directe à la Bourse de New York.
Une étape cruciale est franchie en avril 2018, qui assure définitivement l’assise financière de la compagnie et installe sa formidable expansion dans la durée : son introduction directe au New York Stock Exchange (NYSE), la Bourse de New York. Pour ses fondateurs et actionnaires, c’est l’occasion de prendre quelques juteux bénéfices en cédant tout ou partie de leurs actions, dix ans après le lancement de la plateforme de streaming musical suédoise, qui s’est imposée comme le numéro un mondial du secteur.