Le modèle "artist centric" de Deezer, un ruissellement vers le haut de la pyramide
Le nouveau mode de répartition des revenus du streaming que Deezer projette de mettre en place promet de ponctionner la longue traine en faveur des artistes les plus écoutés.
L’annonce semble avoir pris de court tous les acteurs de la filière musicale en France, dont il s’avère impossible d’obtenir, pour l’heure, la moindre réaction circonstanciée. C’est en effet la France qui va servir, à compter du mois d’octobre 2023, de territoire pilote pour la mise en oeuvre, par la plateforme de streaming musical Deezer, d’un nouveau mode de répartition “artist centric” des revenus du streaming négocié avec la seule maison de disques Universal Music, avant son extension à tous les autres territoires à compter du mois de janvier 2024.
Selon le communiqué publié le mercredi 6 septembre par Deezer1, qui ne brille pas par sa clarté, la plateforme française, avant de procéder à une répartition des revenus perçus au pro-rata du nombre d’écoutes aux ayants droits, va dans un premier temps multiplier par deux celui enregistré par les “artistes professionnels”, “c'est-à-dire ceux qui enregistrent un minimum de 1 000 streams par mois auprès d'un minimum de 500 auditeurs uniques”.
Quadruple boost
Ce “double boost” de leur part de marché, selon les termes du communiqué, s’appliquera une nouvelle fois dans le cas d’écoutes actives, indique la compagnie, qui ne sont pas le fruit d’une programmation algorithmique (mais celui d’un recherche par l’auditeur, ou lorsque le titre a été intégré par ce dernier à une playlist personnelle), lesquelles seront donc prises en compte quatre fois.
L’initiative, qui vise notamment à faire barrage à une captation indue de la valeur par un flot continue de nouvelles musiques dites “fonctionnelles” (pour méditer, s’endormir, etc.), quand il ne s’agit pas de pistes non musicales (bruits de pluie ou autres), soulève de nombreuses questions qui restent pour l’instant sans réponse. “Je trouve étonnant qu’UMG signe un accord […] avec Deezer [et qu’ils] se mettent d'accord sans échange avec les autres acteurs de la filière. […] Pour ma part, ça manque de transparence. Et c'est dommage, sur un sujet qui impacte tout le monde”, réagit à titre personnel un membre de la Félin (Fédération des labels indépendants) contacté via le réseau social LinkedIn.
Ni l’UPFI (Union de producteurs français indépendants), ni des distributeurs numériques comme Believe ou Idol, ni même Deezer n’ont encore répondu aux sollicitations de @music_ zone pour les besoins de cet article. Quant aux deux autres filiales de majors de la musique en France, qui ne sont pas inclues dans ce deal pour l’instant, elles ne se sont toujours pas exprimées officiellement sur le sujet.
Ruissellement vers le haut
L’initiative de Deezer peut pourtant être lourde de conséquences pour tous ces acteurs de la filière phonographique, qui vont voir la part de marché d’Universal Music sur la plateforme boostée mécaniquement à leurs dépends tant qu’ils ne bénéficieront pas des mêmes prérogatives. Les grands perdants de cette affaire, au demeurant, seront tous les artistes qui n’atteignent pas le seuil des 1000 streams par mois auprès de 500 auditeurs, c’est à dire 98 % des artistes présents sur la plateforme, selon les statitiques rendues publiques par Deezer dans son communiqué.
D’une certaine manière, cela aura un effet inverse à la mise en oeuvre d’un mode de répartition “user centric” (ou par abonnement) des revenus du streaming, dont Deezer s’était fait jusque là le promotteur, lequel entrainerait leur ruissellement du haut vers le bas de la pyramide des artistes. De quoi aggraver les biais du mode de répartition au prorata, en ponctionnant la longue traîne pour abonder encore un peu plus les caisses des 1 % d’artistes qui captent déjà 90 % du gâteau, ce en quoi Deezer semble avoir complètement retourné sa veste.
Lire également :
Outre un bonus accordé aux “artistes professionnels” (totalisant plus de 1000 écoutes dans le mois par au moins 500 auditeurs uniques) ainsi qu’aux écoutes actives, le nouveau modèle de répartition des revenus du streaming “artist centric” que prévoit de mettre en place Deezer avec Universal Music limite l’impact des “heavy users”, en divisant par deux le poids de leurs écoutes au delà de 1000 streams dans le mois. Un seuil susceptible d’être revu à la baisse à l’avenir, indique une source chez Deezer, à hauteur de la médiane du nombre d’écoutes (750) voire de sa moyenne (370).