Le big hold up des faux streams
Les chiffres du CNM sur les faux streams ne montrent que la face émergée de l'iceberg. La réalité de la fraude est bien plus profonde. Enquête sur les bas fonds de la manipulation des écoutes.
Le streaming musical est une machine à générer des liquidités facile à détourner, qui ne pouvait pas laisser les pirates indifférents. C’est ce qu’on découvre un peu benoîtement à la lecture de l‘étude du Centre national de la musique (CNM) sur la manipulation des écoutes en ligne parue le 17 janvier 20231. Le constat dressé par le CNM n’est pas des plus alarmants - avec seulement 1 à 3 % de faux streams signalés par les plateformes participantes -, mais il met toute la filière musicale en émoi.
Et pour cause, puisque ces 1 à 3 % de faux streams détectés ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. “Il s’agit uniquement des comportements anormaux détectés par les plateformes et non de la réalité effective des manipulations de streams, qui est nécessairement supérieure”, reconnaît le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) dans un communiqué2. “Si les chiffres paraissent faibles en première lecture par rapport aux 7 % qui circulent dans les médias, il faut noter que la fraude est très difficilement identifiable (toutes les formes ne le sont pas) et les méthodes de détection en constante évolution”, relèvent de leur côté, dans un communiqué de presse commun, la Fédération nationale des labels indépendants (Félin) et le Syndicat des musiques actuelles (SMA)3.
“Difficile de dire quelle est l’ampleur réelle de la fraude, car aucune plateforme ne peut prétendre filtrer 100 % des ‘fake streams’”, confirme pour sa part Ludovic Pouilly, vice-président en charge des relations avec les labels chez Deezer, en réponse aux questions de l’agence de presse Newstank4. Selon lui, l’étude du CNM permet malgré tout “de dédramatiser le phénomène. Car jusqu’ici personne ne voulait en parler. […] Elle apporte donc de la transparence et évite que l’on dise n’importe quoi sur [son] ampleur”.
Le gendarme et le voleur
Pour prendre la mesure réelle de la fraude, encore faut-il évaluer la partie immergée de l’iceberg, c’est à dire le volume réel de faux streams non détectés, qui passent entre les mailles des filets lancés au petit bonheur la chance par les plateformes. “Les plateformes interrogées dans le cadre de l’étude indiquent disposer des ressources technologiques nécessaires pour identifier la fraude. Certaines sont plus actives sur le sujet que d’autres. Quelques distributeurs ont quant à eux développé des dispositifs d’alerte pour détecter des comportements anormaux sur leur catalogue”, indique le CNM.
Mais pour l’heure, ces moyens de détection, qui sont essentiellement génériques - il s’agit d’algorithmes permettant de détecter des comportements inhabituels ou suspicieux ; ou l’évolution anormale voire inconhérente de certains indicateurs -, restent très embryonnaires, disparates, peu documentés et certainement perfectibles. Deezer, qui utilise depuis un an un nouveau système de détection basé sur de l’apprentissage machine, a vu le nombre de faux streams détectés multiplié par trois depuis, confie Ludovic Pouilly à Newstank, et le nombre d’utilisateurs concernés par 4,5. C’est ce qui explique, probablement, que le taux de faux streams détectés atteigne 2,6 % chez Deezer dans l’étude du CNM, contre 1,6 % chez Qobuz, et seulement 1,1 % chez Spotify, qui est pourtant la plateforme de prédilection des pirates.
“Entre plateformes et fraudeurs, la course à l’armement est permanente. Nous développons des algorithmes qui vont identifier des “patterns” (ou schémas de comportement caractéristiques, comme le fait d’écouter en boucle le même titre pendant 31 secondes 24h/24, ndr). Ensuite, les fraudeurs vont être plus malins et trouver un moyen de contourner les algorithmes”, confie Thomas Bouadca, directeur Data Science chez Deezer, sur le plateau de la chaîne Youtube Monte le son !5.
De plus en plus de bots (robots logiciels générant des faux streams) simulent le comportement humain pour déjouer la détection algorithmique - ce qui est susceptible de générer un plus grand nombre de “faux positifs”, dont certains artistes ont déjà fait les frais6. On peut s’attendre à assister un jour, en la matière, à une bataille rangée entre intelligences artificielles. Dans ce type d’activités criminelles, puisqu’il faut bien qualifier la fraude aux streams comme telle, les voleurs ont toujours un temps d’avance sur les gendarmes. Comme en matière de piratage informatique, ou encore de trafic de drogues.
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