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Un marché du live-streaming en voie de consolidation
Passé la phase initiale d’enthousiasme autour du live-streaming, qui a vu les capitaux affluer et de nombreux acteurs se positionner dans ce secteur, un premier mouvement de consolidation s'amorce.
La situation exceptionnelle liée à l’épidémie de Covid-19 en 2020 a accéléré le développement d’une nouvelle industrie du live-streaming de concerts (diffusion en direct sur Internet) et suscité dès le printemps dernier l’engouement des investisseurs de la Silicon Valley pour toute une brochette de start-up déterminées à saisir les opportunités de ce nouveau marché. Passé la phase initiale d’enthousiasme, qui a vu les capitaux affluer et de nombreux acteurs se positionner, un premier mouvement de consolidation s’amorce aujourd’hui.
Une cascade de levées de fonds
Dès le mois d’avril 2020, la start-up californienne eResonate Media, créée en 2018 par des professionnels des médias et de l’investissement, qui développe une plateforme et une application mobile de live-streaming à destination des petites salles de concert et des artistes aux Etats-Unis, annonçait avoir bouclé une émission de notes convertibles auprès de business angels pour un montant d’un million de dollars afin de financer son amorçage. “eResonate offre aux salles et aux artistes une opportunité économique […] qui n’est pas seulement pertinente en ces temps incertains mais aussi pour l’avenir […], en leur offrant la possibilité d'accéder à des bases de fans et à de nouvelles sources de revenus durables”, expliquait un membre de son conseil consultatif.
La société prévoyait d’avoir activé plus de 500 lieux d’ici la fin du premier trimestre 2021. “Le concept de création d'un réseau social de musique live pour permettre aux fans d'accéder à des spectacles en direct dans tout le pays est révolutionnaire et n'aurait pas pu arriver à un meilleur moment”, déclarait Allen Bryant, partenaire de la société de capital-risque Knightsgate Ventures, qui a investi personnellement dans la compagnie et rejoint son conseil consultatif.
En octobre 2020, plusieurs figures de l’industrie musicale américaine, dont Scooter Braun et Troy Carter, investissaient 1,5 million de dollars dans la plateforme de live-streaming et de billetterie californienne Moment House. Des artistes tels que Halsey et Kaytranada, ainsi que Max Cutler, responsable des nouveaux contenus chez Spotify, ont également apporté leur contribution. Moment House réalisera une nouvelle levée de fonds de 12 millions de dollars en août 2021. Toujours à l’automne 2020, la plateforme de live-streaming Mandolin, lancée courant 2020 depuis Indianapolis, qui permet d’organiser des rencontres privées avec les artistes dans des salons VIP virtuels en marge des concerts diffusés, bouclait une levée de fonds de 5 millions de dollars auprès du fonds de capital risque américain High Alpha. Mandolin, qui a retransmis plus de 1500 concerts sur Internet depuis sa création, et touché plus de 300 000 spectateurs, a une nouvelle fois levé 12 millions de dollars depuis, en juin 2021, auprès de 645 Ventures et Foundry Group.
La plus grosse levée de fonds du secteur l’an dernier, à laquelle ont participé Fox Corporation et le fonds Andreessen Horowitz, à hauteur de 113 millions de dollars, fut celle de Caffeine en juillet 2020. Cette plateforme de live streaming californienne, qui fonctionne sur un modèle proche de celui de Twitch, s’est fait une spécialité de retransmettre des batailles de rap en direct. “Les batailles de rap sont notre principal contenu. Ça marche très bien”, indique Ben Keighran, son PDG et cofondateur. La chaîne Ultimate Rap League, qui diffuse des « battles » de rappeurs quatre fois par semaine sur Caffeine, compte plus de 270 000 followers sur la plateforme. Caffeine ne fait pas payer l’accès à ses livestreams, mais fournit la possibilité aux utilisateurs de gratifier les participants qu’ils soutiennent avec des biens virtuels achetés. “L’utilisateur moyen dépense 78 dollars tous les 90 jours”, précise fondateur Ben Keighran.
Un mouvement d’intégration verticale
En novembre 2020, le groupe chinois Tencent Entertainment prenait une participation minoritaire dans Wave, start-up américaine qui a conçu une plateforme de réalité virtuelle indépendante permettant de diffuser des “concerts virtuels” en direct sur Internet, et dans des jeux en ligne multi-joueurs comme Fortnite, Roblox et Minecraft. Tencent Music prévoit d’utiliser Wave pour diffuser des concerts virtuels sur ses plateformes de streaming QQ Music, Kugou Music, Kuwo Music et WeSing en Chine, et de commencer à expérimenter la diffusion d'événements hybrides (à la fois online et offline) sur sa nouvelle plateforme dédiée TME Live.
Fondée en 2016 à Los Angeles, Wave a déjà diffusé plusieurs dizaines de concerts virtuels de DJ et artistes (dont Tinashe, Imogen Heap, REZZ, Galantis, Jean-Michel Jarre et Lindsey Stirling), et touché un public de plusieurs centaines de milliers de personnes sur une grande variété de plateformes, de Facebook à Youtube en passant par Twitch ou Twitter. La compagnie avait bouclé une quatrième levée de fonds de 30 millions de dollars en amont de l’entrée de Tencent dans son capital, en juin 2020, auprès d’une quinzaine de fonds de capital risque et de business angels, portant à 42,5 millions la totalité des fonds levés depuis sa création. “La possibilité de toucher 100 fois plus de personnes de manière interactive est une extension naturelle des spectacles en direct”, commentait Phil Sanderson, co-fondateur du fonds Griffin Gaming Partners, qui a participé à ce tour de table.
Quelques mois plus tard, en mai 2021, la maison de disques Warner Music prendra à son tour une participation dans le capital de Wave, dont la plateforme lui permettra de proposer aux fans de ses artistes de nouvelles expériences virtuelles immersives. Dans un même mouvement d’intégration verticale, le numéro un mondial de la promotion de concerts, Live Nation, s’est porté acquéreur en janvier 2021 d’une participation majoritaire dans la compagnie de live streaming américaine Veeps, créée en 2017 par les frères Joel et Benji Madden, membres du groupe de rock Good Charlotte. En avril 2021, Veeps et Live Nation annonçaient avoir commencé à équiper une soixantaine de lieux de concert à travers les États-Unis avec une solution de live-streaming clé en main, parmi lesquels The Fillmore à San Francisco et Philadelphie, House of Blues à Chicago et à la Nouvelle-Orléans, et The Wiltern à Los Angeles.
Au mois de février 2021, le numéro un mondial de la musique enregistrée, Universal Music, se joignait à deux titans de la K-Pop - les sud-coréens Big Hit Entertainment et YG Entertainment - pour investir dans VenewLive, une nouvelle plateforme numérique de live-streaming aux ambitions "mondiales". "VenewLive a déjà diffusé en direct plusieurs spectacles de grande envergure l'année dernière et a offert aux fans des expériences de concert immersives uniques qui peuvent être proposées grâce à nos technologies de pointe, notamment les multi-vues à 6 angles, la résolution 4K et diverses fonctions interactives", confiait John Lee, PDG de KBYK Live, la compagnie propriétaire de la plateforme. C’est la technologie de VenewLive qui a été utilisée pour la diffusion de deux concerts du groupe de K-Pop sud-coréen BTS sur Internet l'an dernier, qui ont atteint des audiences records au niveau mondial, avec des pics respectifs de 756 000 et 993 000 spectateurs simultanés.
Au mois de mars 2021, le groupe chinois NetEase, maison-mère du service de streaming musical NetEase Cloud Music en Chine, et la maison de disques Sony Music Entertainment participaient - aux côtés des fonds Acronym Venture Capital et Stadia Ventures, et d’un cofondateur de Twitch, Kevin Lin - à une levée de fonds de 22 millions de dollars réalisée par la start-up californienne Maestro, qui propose des solutions de live-streaming en marque blanche aux acteurs de la musique, du jeu vidéo et du e-sport. En plus de la technologie de diffusion en direct, Maestro offre des outils de monétisation, comme la vente de billets et de produits dérivés, ou la mise en place d’événements en pay-per-view et de formules d’abonnement.
Le français Deezer sur les rangs
D’autres levées de fonds ont égréné l’année 2021, dont celle de AmazeVR, plateforme américaine de production et diffusion de concerts en réalité virtuelle créée en 2015, qui délivre des expériences immersives à base de vidéo haute résolution, d'effets spéciaux et de capture de mouvement haptique (avec retour de force et rendu de la sensation de mouvement). La compagnie, qui a noué des partenariats aux Etats-Unis avec des réseaux de plusieurs centaines de salles de cinéma équipées de fauteuils immersifs à rendu de mouvement haptique et d'écrans panoramiques, a bouclé une quatrième levée de fonds de 9,5 millions de dollars en avril 2021, auprès d'un tour de table dirigé par le fonds d'investissement Murex Partners, qui porte à 25,3 millions le total des fonds levés depuis sa création. "L'industrie musicale n'est pas encore bien représentée dans le paysage de la RV, et nous voyons un potentiel illimité pour les artistes et les labels de créer quelque chose d'unique", considèrait alors son PDG et fondateur Steve Lee.
Début juillet 2021, la compagnie Flymachine, créée courant 2020 à San Francisco par Andrew Dreskin, qui a revendu sa start-up de billetterie Ticketfly à Pandora en 2015, et par Rick Farman, co-fondateur de Superfly (société organisatrice des festivals américains Bonnaroo et Outside Lands), bouclait à son tour une levée de fonds de 21 millions de dollars. La société LiveControl, basée à Los Angeles, qui offre une solution prête à l’emploi permettant à n’importe quelle salle de spectacle de réaliser la captation d’un événement via un jeu de caméras pilotées à distance par un opérateur unique, réduisant ainsi drastiquement les coûts de production, réalisait pour sa part une levée de fonds de 30 millions de dollars fin juillet.
Quelques semaines auparavant, le service de streaming musical français Deezer effectuait un investissement stratégique dans Dreamstage, plateforme de live-streaming créée en mai 2020 et basée à New York. La jeune start-up compte parmi ses fondateurs l'ancien responsable du digital chez Sony Music, Thomas Hesse, et le violoncelliste Jason Vogler, par ailleurs directeur du Dresden Music Festival. Depuis sa création, Dreamstage, qui fournit également aux artistes des services de billetterie, de vente de merchandising et de financement participatif, a diffusé une cinquantaine de concerts en direct sur Internet, d'artistes comme Sean Paul, Rodrigo y Gabriela ou Rodney Atkins.
Deezer est la première plateforme de streaming audio occidentale à se positionner ouvertement sur ce nouveau marché. La compagnie a enfoncé le clou début octobre en prenant une participation dans le capital de Driift : une plateforme de live-streaming et de billetterie co-fondée en août 2020 par les managers anglais Ric Salmon et Brian Message, qui compte le groupe de labels indépendants Beggars Group parmi ses actionnaires, et a déjà vendu 600,000 billets pour des concerts diffusés en live-streaming d’artistes comme Nick Cave, Kylie Minogue, Andrea Bocelli ou Sheryl Crow. “Notre investissement dans Driift est la prochaine étape de notre expansion dans ce secteur passionnant et en pleine croissance”, a déclaré à cette occasion le nouveau PDG de Deezer, Jeronimo Folgueira.
Début de consolidation
Spotify ne semble pas vouloir suivre la même voie. Le numéro un mondial du streaming audio, qui a concentré ses dernières acquisitions dans le secteur de la production et de la distribution de podcasts, reste encore en embuscade, et a simplement noué un partenariat avec plusieurs plateformes de live-streaming - nugs.net, StageIt, Mandolin et NoCap - afin de pouvoir offrir un service d’agenda personnalisé à ses utilisateurs. “À l'instar du modèle de recommandation populaire ‘Discover Weekly’, les utilisateurs recevront des recommandations de livestreams personnalisées en fonction de leur localisation, de la musique qu'ils aiment et des artistes qu'ils suivent”, a indiqué Spotify.
Rien qu'au cours de l'année écoulée, nugs a diffusé plus de 900 concerts d'artistes de premier plan tels que Metallica, Pearl Jam, Dead & Company et bien d'autres. StageIt, basée à Los Angeles et créée par le musicien Evan Lowestein il y une dizaine d’années, offre aux artistes un service de billetterie permettant de monétiser des livestreams effectués depuis chez eux ou en studio qui ne sont pas archivés, et en a diffusé plus 6800 en 2020. Des artistes tels que Joan Jett, The Plain White T's, Korn, Trey Songz et Jon Bon Jovi ont déjà utilisé la plateforme, générant plus de 9,2 millions de dollars de revenus en 2020, soit une moyenne de près de 1 500 dollars par concert.
La compagnie new-yorkaise VNUE, qui fournit aux artistes un technologie permettant d’enregistrer facilement leurs concerts, et commercialise ces enregistrements en téléchargement à l’acte sur son site Set.fm, a annoncé le rachat de StageIt fin juillet 2020 pour un montant non dévoilé. Ce mouvement de consolidation ne fait que s’amorcer. Début octobre, la plateforme de live-streaming et de billetterie britannique Dice, qui a diffusé plus de 4600 concerts pendant la pandémie, confirmait, à la suite du bouclage d’une nouvelle levée de fonds de 122 millions de dollars, son rachat de Boiler Room, autre plateforme de live-streaming britannique spécialisée dans la dance music qui, depuis sa création en 2010, a diffusé sur Internet plus de 8000 performances de 5000 artistes captés dans 200 villes différentes. L’acquisition de son concurrent NoonChorus par Mandolin, annoncé fin septembre, illustre également cette tendance
Les revenus générés par le live-streaming de concerts ont dépassé les 600 millions de dollars en 2020, estime le cabinet d’études anglais Midia Research. Passé la hype de l’an dernier, et avec le retour en force des concerts et des festivals accueillant un vrai public, l’audience des concerts diffusés sur Internet a cessé de croître au deuxième trimestre 2021, observe son analyste en chef Mark Mulligan dans un billet de blog. Mais elle conserve une base solide. “L'année 2021 restera comme une année d'ajustement pour le live-streaming, après une année 2020 marquée par des circonstances exceptionnelles”, écrit-il. Et de conclure : “Attendez-vous à davantage d'investissements et de consolidations, car ce marché commence à se préparer à une croissance organique à long terme”.
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