Le rachat de PIAS par Universal Music émeut la communauté indépendante
L'opération, qui participe d'un mouvement de concentration beaucoup plus large, voit un fleuron européen de la production et de la distribution indépendantes passer sous la coupe d'une major,
Kenny Gates et Michel Lambot, co-fondateurs de [PIAS]
“Nous avons vendu nos actions mais pas nos âmes”. C’est en ces termes que Kenny Gates, co-fondateur et PDG du distributeur et groupe de labels indépendants européen [PIAS], a commenté, dans une lettre adressée au personnel de la compagnie1, sa prise de contrôle complète par Universal Music Group2. “Inévitablement, il y aura des ragots, des critiques et du cynisme à propos de tout cela, mais […] j'emmerde ceux qui nous dénigrent”, a fait savoir Kenny Gates dans cette missive.
Le ton est donné, alors que le passage sous la coupe de la plus grosse major de la musique de ce fleuron européen de la production et de la distribution indépendantes - qui possède 19 bureaux dans le monde et 10 sous-labels, et est le distributeur exclusif de labels indés emblématiques comme Mute et Heavenly -, a de quoi causer un certain émoi dans la communauté indépendante.
Un rapprochement dans les tuyaux depuis trois ans
L’opération est l’aboutissement d’un rapprochement entre les deux compagnies qui avait commencé par la signature d’un accord stratégique global en juin 20213. Il permettait à Universal Music d’accéder au réseau de distribution international de PIAS et à son expertise dans la fourniture de services à la communauté musicale indépendante, et à PIAS de tirer parti des ressources et capacités financières d’Universal Music.
Une deuxième étape était franchie fin novembre 2022, avec l’annonce par Universal Music de son acquisition de 49 % du capital de [PIAS]. La major de la musique venait à peine d’être libérée des restrictions que lui avait imposées la Commission européenne suite à son acquisition des actifs de la maison de disques anglaise EMI auprès de la banque américaine Citibank en septembre 2012. Outre l’obligation de céder un certain nombre d’actifs passés sous sa coupe à la suite de cette opération, Universal Music s’était vu interdire par les autorités de la concurrence de procéder à toute autre acquisition en Europe pendant une période de dix ans.
Un document officiel publié dans l’Annexe des personnes morales du Moniteur belge, daté du 15 novembre 20224, atteste de la contribution d’Universal Music, pour un montant de 25,69 millions d’euros, à une augmentation de capital de Gala Holding, société belge fondée en avril 2021 et détenue à 90 % par Michel Lambot et Kenneth Gates, au capital de laquelle ils ont apporté toutes leurs actions et options d’achat d’actions de la société de droit belge LGS2, qui détient 100 % de PIAS Group, pour un montant total de 28,06 millions d’euros5.
“[PIAS] reste totalement indépendante et ses fondateurs, Kenny Gates et Michel Lambot, conservent le contrôle total de l'entreprise”, affirmait le communiqué d’Universal Music publié à cette occasion. Cette parenthèse n’aura duré que deux ans, les deux fondateurs ayant finalement décidé de céder le reste de leurs parts pour un montant non dévoilé au numéro un mondial de la musique enregistrée, qui détient désormais 100 % du capital de la compagnie.
Un mouvement de concentration qui suscite l’inquiétude
“Cela laissera un grand vide dans le secteur indépendant”, a commenté Helen Smith6, présidente exécutive du syndicat de labels indépendants européen Impala, dont Michel Lambot a été membre du bureau pendant vingt quatre ans. Selon elle, ce nouveau mouvement de concentration a de quoi susciter l’inquiétude : “L’Impala attend des régulateurs qu'ils enquêtent sur cette acquisition et qu'ils répondent à la question que se pose le secteur, à savoir comment UMG a pu gagner davantage de parts de marché alors qu'elle était déjà considérée comme trop grosse”, a t-elle indiqué.
Dario Draštata, patron du label indépendant serbo-croate Dallas Records et président de l’Impala, y voit “un changement radical de la dynamique concurrentielle du marché de la musique, au grand détriment des concurrents et des consommateurs”. “Nous observons des mouvements similaires en Europe centrale et orientale, a-t-il rappelé, Warner Music Group ayant pris des participations dans plusieurs labels indépendants de premier plan dans la région”.
Au cours des cinq dernières années, dans le cadre d’une stratégie visant à renforcer sa présence sur les marchés d’Europe de l'Est, Warner Music a noué un partenariat stratégique avec le label de hip hop polonais Step Records, et pris des participations minoritaires dans le label de hip hop tchèque Mike Roft, dans le label indépendant hongrois Mascom, dans le label serbe Magneoton, et plus récemment dans le label slovène Nika. Début 2024, la major du disque américaine avait également manifesté son intérêt pour le rachat du leader des services aux labels et aux artistes indépendants français Believe, avant de finalement renoncer à faire une offre7.
Sony Music, de son côté, a procédé à plusieurs acquisitions en Europe dans la seconde moitié des années 2010 : de l’allemand Century Media Records en 2015 ; du britannique Ministry of Sound en 2016 ; et de la société anglaise de distribution et de services aux artistes et aux labels indépendant Essential Music & Marketing la même année. Ces rachats s'inscrivent dans une tendance plus large de consolidation du secteur musical, où les majors cherchent à renforcer leur position en acquérant des labels indépendants établis.
Résignation
Avec l’acquisition de [PIAS] par Universal Music, c’est plusieurs fleurons de la production indépendante qui passent sous le giron de la major, comme Harmonia Mundi, Play It Again Sam, Spinefarm, Source et V2. “La poursuite de [ cette] consolidation est très préoccupante car elle réduit les options et diminue la part de marché collective des indépendants”, a regretté Gee Davy, PDG par interim de l’AIM (Association of Independent Music), le syndicat des labels indépendants britanniques.
En France, l’opération n’a pour l’instant suscité aucune réaction de la part de l’UPFI (Union des producteurs français indépendants) ou de la Félin (Fédération nationale des labels indépendants). “PIAS n'est plus un indépendant. Une page se tourne chez nos voisins. […] Cela fait bizarre toutes ces concentrations. Une très belle société indépendante doit être reprise un jour ou l'autre, il n'y avait peut être pas d'autres solutions que celle là”, semble se résigner sur LinkedIn Xavier Collin, fondateur de l’éditeur indépendant français WTPL Music et de la société de services aux labels Booster Music, dont PIAS est le distributeur physique.
Kenny Gates on [PIAS] sale: We have an amazing future ahead… and f**k the haters, Music Business Worldwide, 15 octobre 2024
[PIAS] founders Kenny Gates and Michel Lambot announce sale of remaining shareholding to Universal Music Group, Universal Music Group, communiqué, 15 octobre 2024
[PIAS] and Universal Music Group Announce Strategic Alliance, Universal Music Group, communiqué, 9 juin 2021
Warner Music renonce à racheter Believe, @music_zone, 8 avril 2024