La vogue des NFT sur IP (Intellectual Property)
De plus en plus d’artistes émettent des NFT dont le collatéral s’appuie sur des portions de leur propriété intellectuelle et sur les revenus qu’elles sont susceptibles de générer à l’avenir.
Après avoir atteint le montant record de 26 millions de dollars en mars 2021, suite à l’engouement qu’ils ont suscité à compter de la fin 2020, les ventes de NFT musicaux n’ont cessé de dégringoler en valeur jusqu’à la fin du premier semestre, constate la lettre d’information américaine Water & Music, pour ne plus peser que 1,5 million de dollars en juin 2021. Selon son propre pointage sur la période, le nombre de NFT musicaux ayant fait l’objet d’une première vente sur des plateformes américaines ou européennes est passé de 30 768 au mois de mars 2021 à 1167 au mois de juin.
De nouveaux modes de financement de la création
Sur les 4,7 millions de NFTs (musicaux ou non) ayant fait l’objet d’une première vente entre le 23 juin 2017 et le 27 avril 2021, à peine 10 % ont fait l’objet d’une revente, constate par ailleurs une étude réalisée par plusieurs universités européennes. “Ces données suggèrent que la valeur spéculative des NFT est un mythe”, commente la journaliste Cherie Hue, éditrice de Water & Music. De plus en plus d’artistes, cependant, émettent des NFT dont le collatéral (ce qui fonde leur valeur) s’appuie sur des portions de leur propriété intellectuelle et sur les revenus qu’elle est susceptible de générer à l’avenir, ce qui offre des garanties plus tangibles à leurs acquéreurs et ouvre la voie à de nouveaux modes de financement de la création.
“Pour mon single By Now, j'ai vendu 2,3 % des revenus de l'enregistrement original à perpétuité via NFT à un fan, qui est littéralement la seule personne à posséder un morceau de mon enregistrement, ce qui a permis de financer la création et la sortie du single”, confie à Music Ally l’artiste indépendante américaine Vérité, basée à Brooklyn, qui est créditée de 350 millions d’écoutes sur les plateformes de streaming et de un million d’auditeurs mensuels. Lors d’une revente éventuelle de ce NFT, dont l’enchère initiale lui a rapporté environ 23 000 dollars, l’artiste est assurée de percevoir une commission de 15 % sur son montant : un smart contract (contrat autocertifié qui s’exécutera automatiquement sur la blockchain où le NFT a été émis lors du transfert de propriété) créditera instantanément son portefeuille électronique de la somme correspondante.
Pionnier de l’émission de NFT musicaux, le producteur et DJ américain de house progressive et d'electro house 3LAU, qui a déjà vendu 5900 NFT aux enchères pour un montant de 17,4 millions de dollars, a lancé sa propre plateforme, Royal Music, dédiée à la vente de fractions de propriété intellectuelle par les artistes, et financée à hauteur de 16 millions de dollars lors d’une première levée de fonds réalisée au mois d’août 2021. Lors de la sortie de son nouveau single Worst Case, le 8 octobre prochain, l’artiste mettra en vente sur Royal Music 50 % des droits qu’il va générer sur les plateformes de streaming auprès de 333 fans. Depuis le lancement de Royal Music, plus de 2000 artistes, crédités de 500 000 à 20 millions d’auditeurs mensuels sur les plateformes de streaming, ont manifesté leur intérêt pour la plateforme, indique son fondateur.
Des droits à rémunération vendus aux enchères
Créé en en 2018 au Luxembourg, la place de marché électronique ANote Music, financée à hauteur de un million d’euros lors de trois tours de table, permet également aux artistes et aux acteurs de l'industrie musicale de lever des fonds en cédant une partie de leurs droits sous la forme de titres négociables enregistrés sur une blockchain. Déjà présente en Italie et en Pologne, ANote Music, qui vient d’annoncer son lancement en France, a adopté un modèle sensiblement différent. La plateforme négocie en amont, sur la base d’un multiple de l’historique des droits générés, la cession d'une partie de leur répertoire avec des éditeurs indépendants sur une période donnée, qu’elle transforme en NFT représentant un droit à revenus futurs (par exemple une fraction des droits Sacem issus de ce répertoire).
ANote Music offre une bourse d'échange sur laquelle peuvent se revendre ses NFT. En France, l’éditeur indépendant EL Editions (Vianney, Boulevard des airs, June The Girl…) lui a cédé 5% des droits de son répertoire pour 60 000 €. Ils ont été vendus sous forme de NFT à une centaine de souscripteurs. Pour pouvoir être mis aux enchères, un répertoire d’oeuvres musicales doit avoir au minimum trois ans d’existence et générer au moins 10 000 euros de revenus par an, indique la compagnie.
ANote Music prélève entre 10 et 15% des montants levés par les artistes, et 4% des revenus réguliers distribués aux investisseurs. “Pour tout catalogue musical mis en vente, nous avons conclu des accords juridiquement contraignants avec des organismes de gestion collective, […] afin de garantir que les investisseurs reçoivent les redevances”, précise son site Web. La start-up se charge de collecter les flux de royalties auprès d’eux, avant de transférer directement les fonds dans le portefeuille des investisseurs.
Un rendement de 7,5 %
Depuis le début de cette activité, le rendement des NFT émis par ANote Music a été de 7,5 %. La plateforme, qui revendique 8000 clients, a permis aux acteurs de l’industrie musicale de lever 600 000 € auprès d’eux, et se fixe pour objectif d’atteindre un million d’euros d’ici la fin de l’année. “Le principal problème de ce modèle, c’est que, par nécessité technique, tous les transferts de droits se font encore manuellement hors blockchain [par exemple, lorsqu’ils doivent être enregistré dans les registres de la Sacem ou de l’Adami, ndr], plutôt qu'automatiquement sur une blockchain”, relève la journaliste Chérie Hue, ce qui peut poser des problèmes d’efficacité à long terme.
L’interface technique entre les plateformes de NFT et les systèmes d’information des sociétés de gestion collective, qui ont vocation elles-mêmes à développer des infrastructures de blockchain ou le font déjà pour certaines, reste encore à construire. D’autres acteurs que les places de marché spécialisées ont un rôle d’intégration et d’intermédiation à jouer ; comme les agrégateurs numériques, tel le britannique Ditto Music, dont la plateforme de finance décentralisée Opulous, lancée en 2021, permet aux artistes de vendre des fractions de leurs droits sous forme de NFT1 et d’accéder à d’autres sources de financement alternatives.
Le rappeur britannique Big Zuu et l'artiste américaine Taylor Bennett ont vendu des participations de 1 % dans des enregistrements inédits sous forme de NFT par son intermédiaire, qui se sont écoulées en moins de 30 secondes. Opulous a signé un partenariat avec la plateforme d'échange de cryptomonnaies Binance afin que les artistes puissent vendre d'autres types de NFT non liés à leurs droits d'auteur. La plateforme leur permet également de contracter des prêts participatifs en s'appuyant sur leurs droits d'auteurs et droits voisins comme collatéraux.
Lire également :
En complément :
Music Veterans Join Glozal The First NFT Music Player and Marketplace Platform
DistroKid enters NFT market with ‘Sellouts’, mints 10,000 collectible NFTs
Cf. Sur le front des musictech #2, @music_zone, 30/07/2021