La production musicale française s'exporte de mieux en mieux
A la suite de pionniers de la french touch comme Laurent Garnier, Daft Punk ou Air, de nombreux artistes français jouissent d’une notoriété croissante dans le monde et multiplient les certifications.
Deux semaines après sa sortie le 23 novembre dernier, le titre Ma meilleure ennemie, fruit d’une collaboration entre l’artiste belge Stromae et la chanteuse française Pomme, qui intègre la bande son originale de la série d’animation Arcane diffusée sur Netflix, inspirée du jeu vidéo français League of Legends (Riot Games), se rapproche des 100 millions d’écoutes sur Spotify.
Non content de se classer en tête des chansons francophones les plus écoutées sur la plateforme de streaming en l’espace de 24 heures, le titre a également atteint la 8e place du classement quotidien des morceaux les plus écoutés dans le monde le 4 décembre dernier, aux côtés des derniers tubes de Bruno Mars, Lady Gaga, Kendrick Lamar et Billie Eilish.
La chanson Ma meilleure ennemie se maintenait encore à la 11e place du Top 50 quotidien des écoutes le 6 décembre. Si la France est sans surprise le pays où elle a enregistré les meilleurs scores, Spotify confie qu'elle a également atteint une audience significative aux États-Unis, en Pologne, en Allemagne et au Brésil.
Plus qu’un épiphénomène
D’autres artistes français ou francophones ont battu des records d’audience sur les plateformes de streaming à l’international ces derniers mois, à l’instar de la chanteuse canadienne Céline Dion, qui a enregistré une progression de ses écoutes de 35 % dans le monde après avoir bénéficié d’une exposition exceptionnelle lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, .
Cette croissance a été de 40 % pour la chanteuse Aya Nakamura, suite à son duo avec l’orchestre de la Garde républicaine à la même occasion, et le groupe de métal français Gojira a gagné plus de 300.000 followers sur Spotify après la diffusion mondiale de sa prestation aux fenêtres de la Conciergerie avec la chanteuse lyrique franco-suisse Marina Viotti, voyant le nombre de ses écoutes bondir de 80 %.
Dans la foulée de la cérémonie, le titre Supernature de Cerrone s'offrait la deuxième place des titres les plus recherchés sur l'application Shazam. Et la chanson culte d'Edith Piaf l'Hymne à l'amour, chantée par Céline Dion du haut de la Tour Eiffel, voyait le nombre de ses écoutes croître de 320 % sur Spotify le jour même, selon les confidences de son PDG Daniel Ek sur X.
La francophonie plébiscitée
Ce succès de la production musicale française ou francophone à l’international est loin d’être ponctuel ou anecdotique. A la suite de pionniers de la french touch comme Laurent Garnier, Daft Punk ou Air, d’autres artistes français ou francophones jouissent d’une notoriété croissante dans le monde : à l’instar de L’Impératrice, de Christine and the Queens ou d’Angèle dans la pop ; de DJ Snake et David Guetta dans la dance music et l’électro ; de Franglish, Roméo Elvis ou Saint Levant dans le hip hop et le rap ; ou encore des chanteuses Pomme et Yelle.
“Les auditeurs du monde entier plébiscitent les contenus en français”, révélait Spotify dans un communiqué publié fin septembre dernier1. “Depuis 2019, les flux de musique francophone ont bondi de 94%”, précisait la plateforme. Et d’ajouter qu’entre août 2023 et juillet 2024, “plus de 83 millions d’heures de musique francophone ont résonné dans plus de 180 pays sur Spotify”. Au côtés de Stromae, Indila, Aya Nakamura, Maître Gims, Jul ou PLK figurent également plusieurs artistes québécois parmi les francophones les plus écoutés dans le monde, comme Les Cowboys Fringants, Souldia ou Patrick Watson.
La filière musicale française surfe sur la vague montante du streaming et la mondialisation du marché de la musique depuis déjà un bout de temps, comme en témoignent les données chiffrées que publiait chaque année le Bureau Export avant son intégration au Centre national de la musique (CNM) en 20202. De €262 millions en 2016, ses revenus à l’export (musique enregistrée, droits d’auteurs et spectacle vivant confondus) sont passés à €316 millions en 2019, après avoir pesé €283 millions d’euros en 2017 et €302 millions d’euros en 2018.
25 milliards d’écoutes dans le monde
Dans l’intervalle, les revenus des producteurs de phonogrammes français à l’export sont passés de €50 millions à €81 millions, et celui des producteurs de spectacles français de €60 millions à €80 millions, le nombre de concerts organisés à l’international étant passé de 2000 en 2016 à 5550 en 2019. Le montant des droits d’auteur et d’édition en provenance de l’international est quant à lui passé de €111 millions en 2016 à €120 millions en 2019.
Le CNM n’a plus produit de données comparables depuis, mais la croissance récurrente du nombre de certifications à l’export d’une année sur l’autre, dont il continue de rendre compte3, suggère que cette tendance de fond ne s’est pas inversée. Alors que 26 artistes français avaient bénéficié d’une telle certification en 2016 (single ou album d’or, de platine ou de diamant4), le CNM en dénombrait 250 en 2023 (+ 68 % par rapport à 2022).
Le nombre de certifications à l’export (albums et singles confondus) a progressé de 36 % sur un an en 2021, de 38 % en 2022, et de 30 % en 2023, passant dans l’intervalle de 65 à 424 (dont 76 nouveautés). L’an dernier, les 381 singles certifiés à l’export (dont huit titres de Stromae, cinq de Oxlade, quatre de Aya Nakamura, Gazo et Ofenbach, et trois de Dadju, Naeleck et Soolking) ont généré 24,6 milliards d’écoutes, et les 43 albums certifiés l’équivalent de 8,1 millions de ventes.
Presqu’autant d’écoutes en Chine qu’aux Etats-Unis
Le rap est l’esthétique qui détient le plus de titres certifiés à l’export en 2023 (33 %), devant la dance et l’électro (24 %), la variété et la pop (15 %) et les musiques afro (14 %). Les territoires où les artistes français certifiés ont cumulé le plus d’écoutes l’an dernier sont l’Allemagne (10,6 %), les Etats-Unis (10,2 %)… et la Chine (9,9 %), qui se classe devant la Belgique (5,4 %) et les Pays Bas (4,8 %).
C’est sans surprise la Belgique qui prise le plus la francophonie (avec 84 % des écoutes d’artistes français portant sur des titres francophones en 2023), devant les Pays Bas (63 %), l’Allemagne (51 %), les Etats-Unis (39 %) et la Chine (5 %). 57 % des titres certifiés à l’export l’an dernier sont chantés en français5. Head Shoulders Knees & Toes (2020) et Wasted Love (2021), du duo dance-électro Ofenbach, figurent parmi les titres d’artistes français les plus écoutés en 2023 en Allemagne, avec Ramenez la coupe à la maison (2018) du rappeur Vegedream et la chanson Papaoutai (2013) de Stromae.
Aux Etats-Unis, la chanson anglophone 1234 (2007) de la chanteuse canadienne Feist, qui a fortement bénéficié de sa synchronisation dans une pub d’Apple pour son baladeur iPod Nano l’année de sa sortie, s’est maintenue parmi les productions françaises les plus écoutées l’an dernier, aux côtés du titre A Corlors Show (2022) du chanteur nigérian Oxlade (signé chez Epic Records en France), de Papaoutai de Stromae, et de la chanson Tourner dans le vide (2024) de la chanteuse Indila, seule nouveauté du lot.
Notoriété croissante sur les marchés émergents
En Chine, c’est le titre Seve (2015) du producteur et DJ franco-américain Tez Cadey qui s’est classé parmi les titres français les plus écoutés en 2023, avec la chanson anglophone Lil Mama (2015) de la jeune chanteuse d’origine toulousaine Jain, le single The Mass (2013) du groupe ERA - projet musical fondé par le musicien français Éric Lévi -, et le tube de house music Umbrella (2021) enregistré par le DJ et producteur d’origine malaisienne Josh T. et le duo électro italien Marnik pour le label français Chérie Amour Productions.
Du fait de leur disponibilité continue sur les plateformes de streaming, le catalogue et le back catalogue français raflent la grande majorité des certifications à l‘export (82 % des certifications en 2023) et ne cessent de franchir de nouveaux seuils d’une année sur l’autre. Ainsi le titre Seve de Tez Cadey est-il à ce jour certifié 44 fois Diamant (soit plus de 2,2 milliards d’écoutes), la chanson Lil Mana de Jain 23 fois (1,15 milliard d’écoutes), le tube Papaoutai de Stromae 12 fois (600 millions d’écoutes), et le standard Me Gusta Tu (2001) de Manu Chao 11 fois (550 millions d’écoutes).
Les artistes français bénéficient également, grâce au streaming, d’une notoriété croissante sur des marchés émergents en forte croissance, à l’instar de Maître Gims, devenu une star en Indonésie, premier marché mondial devant l’Allemagne pour les versions originale et sped up de sa chanson Est-ce que tu m’aimes ? (2015), qui a créé la sensation en Asie suite à un début de trend détecté au printemps dernier sur Tiktok, sur des contenus liés au foot, par sa maison de disques Sony Music France.
Nouvelles success stories en 2024
La major française a de suite tout mis en oeuvre pour amplifier ce trend (optimisation des audios, travail sur les métadonnées, mise en avant des top tracks de Maître Gims sur les plateformes de streaming, mise à jour des playlists Best Of de l’artiste, livraison de versions sped up et slow, campagnes d’influence sur les réseaux sociaux), parvenant à générer 40 millions d’écoutes supplémentaires en moins de trois mois, ce qui a permis à la chanson Est-ce que tu m’aimes ? d’entrer dans le Spotify Daily Top Chart de sept territoires (Suisse, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Autriche, Malaisie, Danemark, Norvège).
Dans un communiqué publié le 18 novembre dernier6, le SNEP (Syndicat national des éditeurs phonographiques) fait état d’autres success stories à l’export qui ont marqué l’année 2024, comme celle du producteur multi-instrumentiste et DJ français Folamour, qui a réalisé une tournée internationale à guichets fermés pour fêter ses dix ans de carrière, s’est produit au très renommé festival américain Coachella, a effectué une performance de 8 heures lors de l’Amsterdam Dance Event qui affichait complet des mois à l’avance, et obtenu sa première certification single d’Or à l’export pour son titre These Are Just Places To Me Now.
Parmi les autres succès à l’export de l’année figurent également celui de la jeune chanteuse et autrice-compositrice parisienne Myla, dont la chanson Under the Same Moon a atteint la première place du classement Spotify Viral 100 et été propulsée dans des playlists Spotify majeures en Indonésie, aux Philippines et en Malaisie ; ou celui de l’icône mondiale de la musique africaine d’origine béninoise Angélique Kidjo, signée chez Warner Music France, qui s’est produite à guichets fermés au prestigieux Carnegie Hall de New York, et dont le dernier single Joy cumule déjà 10 millions de streams à l’export.
La barrière de la langue n’en est plus une
Autre success story à l’export de 2024, celle de la chanteuse Zaho de Sagazan, multi-primée aux Victoires de la musique cette année, dont la tournée européenne (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique) a affiché complet en quelques minutes, et qui se produira ce mois-ci à guichets fermés à New-York, San Francisco et Los Angeles.
De nombreux artistes français ou produits en France ont par ailleurs fait l’objet de nominations pour les 67e Grammy Awards de la Recording Academy américaine qui se tiendront en 2025, à l’instar du duo électro Justice (dans les catégories Best Dance/Electronic Album et Best Dance/Electronic Recording), du groupe de métal Gojira (dans la catégorie Best Metal Performance), ou de la chanteuse de jazz Cyrille Aimée (dans la catégorie Best Traditional Pop Vocal Album)7.
Jeremy Erlich, Vice-Président Head of Music Content chez Spotify, constate que la langue n’est plus une barrière à l’export pour la production musicale française. “Toutes les régions du monde s’emparent de la richesse et de la diversité de la scène musicale francophone, explique t-il. […] En Amérique Latine, l’électro-pop ou l’indie en français sont particulièrement appréciés de nos utilisateurs. [Et] si l’on regarde l’Asie Pacifique, on retrouve Aya Nakamura ou Gims par exemple, qui sont plus sur des registres de RnB, pop ou variété française. Il y a vraiment un public qui adhère et épouse la langue française partout, et c’est quelque chose que l’on constate maintenant depuis plusieurs années.”
Question de genre
Seule fausse note dans ce bilan du succès à l’export de la production musicale française, que l’ancienne directrice générale du Bureau Export Michelle Amar s’évertue à mettre en avant aux Etats-Unis sur sa plateforme France Rocks8, la place des artistes féminines y reste marginale.
Les femmes ne représentent que 4 % des artistes solos certifiés à l’export en 2023, ne sont présentes que dans 16 % des titres mixtes certifiés et dans 5 % des titres de rap, et n’apparaissent même pas dans les titres de dance-électro.
Parmi les nouveautés, seuls deux singles 100 % féminins ont été certifiés à l’export l’an dernier (sur un total de 67) : la chanson Baby de Aya Nakamura, certifiée Platine, et le titre Evidemment de La Zarra, certifié Or. L’album DNK de Aya Nakamura est par ailleurs l’unique nouvel album féminin à avoir obtenu une certification à l’export.
Les auditeurs du monde entier plébiscitent les contenus en français sur Spotify, Spotify, 30 septembre 2024
Le volume économique de la musique française à l’international, Bureau Export, Bilan économique 2017, Bilan économique 2018, Bilan économique 2019
Un single est certifié Or à l’export à partir de 15 millions d’écoutes à l’international, Platine à partir de 30 millions, et Diamant à partir de 50 millions. Un album est certifié Or à l’export à partir de 50 000 ventes (1500 écoutes équivalent à une vente), Platine à partir de 100 000 ventes, et Diamant à partir de 500 000 ventes. Dans le calcul des équivalents ventes d’un album, seule la moitié des écoutes du titre de l’album le plus écouté est prise en compte.
90 % des titres de rap certifiés à l’export en 2023 sont francophones, 100 % des titres de groove et R&B, et 83 % des titres de variété-pop, mais seulement 4 % des titres dance-électro.
Export Success Stories - Episode 5, SNEP, 18 novembre 2024
GRAMMY Awards | Plusieurs français et artistes « made in France » nommés pour l’édition 2025 !, whatthefrance.org, 19 novembre 2024
Merci de cet article Philippe !