La musique doit-elle craindre la concurrence des podcasts sur Spotify ?
L'irruption de centaines de milliers de podcasts sur la plateforme de streaming impose un nouveau partage des "ondes" à la musique, qui mesure assez mal ce qu'elle a à y perdre ou à y gagner.
Lors de la présentation des résultats financiers de la compagnie en 2019, le P-dg de Spotify, Daniel Ek, s’adressant aux investisseurs, dévoilait la nouvelle vision stratégique du numéro un mondial du streaming musical, qui est de se développer au delà de la musique, et de devenir ni plus ni moins “la première plateforme audio au monde”. Cette ambition a de quoi inquiéter l’industrie musicale, la seule à alimenter Spotify en contenus audio depuis dix ans.
Pour la musique le message est clair. Alors que le streaming s’est imposé comme sa principale source de revenus au cours de la décennie passée, contribuant fortement à sa sortie de crise, elle va désormais devoir partager l’audience qu’il lui procure, et dont elle avait jusque là l’exclusivité, avec un autre type de contenus audio : les podcasts. Ces émissions de radio enregistrées peuvent être écoutées en streaming à la demande sur Internet, comme la musique, depuis un smartphone, un ordinateur, un téléviseur connecté ou une enceinte intelligente.
L’industrie musicale devra t-elle aussi partager la manne financière que le streaming représente pour elle avec celle du podcasting (9 Md$ dans le monde en 2018 selon l’IFPI ; presque autant aux seuls Etats-Unis en 2019, selon la RIAA) ? C’est la question qu’elle se pose. Il faut plonger au cœur de la stratégie de Spotify dans le podcasting pour tenter d’y répondre.
La bataille de l’audio a déjà commencé
Le développement du podcasting va surtout impacter l’industrie de la radio, pour laquelle il constitue une véritable rupture de la logique d’antenne - de même que la télévision vit une rupture de la logique de chaîne ; et que le MP3 a fait voler en éclats le format de l’album de musique et sa chaîne de distribution physique, bouleversant les modèles économiques de la musique et ses modes de consommation, faisant inexorablement migrer ces derniers vers une logique d’accès à la demande personnalisé.
Il n’en reste pas moins que les deux industries - celle de la radio, avec les nouvelles formes qu’elle invente sur Internet, et celle de la musique - vont désormais se concurrencer sur les plateformes audio, dans cette nouvelle économie de l’attention qui exige de capter au maximum celles des auditeurs (leur “temps de cerveau disponible”, selon une expression plus célèbre que son auteur). L’une comme l’autre produisent des contenus audio qui se distinguent mais empruntent de plus en plus les mêmes canaux de diffusion et de captation de l’attention.
Une étude du groupe de radio publique américain NPR et de Edison Research publié en décembre 2019 indique que la musique a vu la part du temps d’écoute qui lui est dévolu par la population américaine passer de 80 % en 2014 à 76 % en 2019, quand celle du contenu audio parlé, qui caractérise les podcasts, passait de 20 % à 24 % dans l’intervalle. Plus inquiétant pour la musique, sa perte de parts de marché est encore plus sensible auprès des 13 - 34 ans, qui ne consacraient plus que 81 % de leur temps d’écoute à la musique en 2019, et 19 % à l’audio parlé, contre 88 % en 2014, et 12 % à l’audio parlé.
Selon Nielsen, le temps moyen passé à écouter de la musique chaque semaine sur les plateformes de streaming est en recul sensible aux Etats-Unis. Il est passé de 32 heures en 2017 à 27 heures en 2019. La corrélation avec la montée en puissance des podcasts n’est pas établie, mais elle est dans tous les esprits. Spotify, qui projette d’atteindre 328 à 348 millions d’utilisateurs uniques tous les mois dans le monde d’ici à la fin 2020, entend bien, pour différentes raisons, faire jouer cette concurrence jusqu’au bout sur sa plateforme.
Numéro un du streaming… et de la production de podcasts
Dès l’été 2017, le leader incontesté du streaming musical manifestait sa volonté d’étendre son offre à d’autres contenus audio que la musique, en s’improvisant lui-même producteur d’une première série de 12 podcasts hebdomadaires, Show & Tell, animés par le présentateur d’émissions de radio et de télévision anglais Shawn Keaveny, de BBC Radio 6 Music. Depuis, les productions maison se sont enchaînées.
Fin 2019, pour citer des cas récents, Spotify nouait un partenariat avec la firme Procter & Gamble afin de lancer une série exclusive de quatre épisodes d’un podcast aux couleurs de la marque baptisé Harmonize, consacré à la musique noire et présenté par le songwriter, producteur et acteur américian John Legend et le rappeur Pusha T. Quelques mois plus tard, le rappeur américain Chuck D prêtait sa voix au commentaire d’une série documentaire de huit podcasts sur l’histoire du groupe anglais The Clash, produite par Spotify en partenariat avec les studios de la BBC. En parallèle à ces premières initiatives dans la production, Spotify a multiplié les accords de distribution avec de nombreux éditeurs de podcasts. A l’été 2019, la compagnie faisait état de 185 000 podcasts disponibles dans son catalogue - dont une quinzaine de séries exclusives et quelques productions maison - et de leur audience croissante.
Selon les premiers chiffres dévoilés quelques mois plus tard, 16 % des utilisateurs de Spotify avaient écouté des podcasts parmi les 700 000 désormais disponibles sur sa plateforme. “De nombreux paramètres liés à la croissance et à l'engagement des utilisateurs nous ont convaincus que le podcasting représentera au moins 20 % du contenu diffusé”, déclarait au Wall Street Journal son directeur financier Barry McCarthy. Une estimation confirmée plus tard par Daniel Ek. Entre la fin du troisième trimestre 2019 et la fin du quatrième, le nombre de personnes écoutant des podcasts sur Spotify a augmenté de 23 %, soit 8 millions de plus en trois mois, a indiqué le P-dg de la compagnie, précisant que sur la période, le nombre d’heures de podcast écoutées avait bondi de 200 % sur un an.
Au cours de l’année 2019, Spotify est passé à la vitesse supérieure, investissant près de 500 M$ dans l’ acquisition des sociétés américaines de production et de distribution de podcasts Gimlet Media, Parcast et Anchor, et sécurisant en sus un certain nombre de deals exclusifs avec des séries de podcasts à succès. Gimlet Media produit des shows professionnels à forte audience comme Startup, Homecoming ou Reply All. Le studio de podcasting californien Parcast a lancé 18 séries de podcasts policiers, dont Serial Killer, Unsolved Murders, ou encore Cults and Conspiracy Theories. La compagnie, qui dispose de deux studios et de 20 employés, détient “plus d’une vingtaine de scripts d’enquêtes criminelles et d’affaires judiciaires qui donneront lieu au lancement de nouvelles séries”, a indiqué Spotify au moment de son rachat.
”L’ajout de Parcast à notre liste croissante de contenus en podcast va nous faire progresser vers notre objectif de devenir la première plateforme audio au monde”, se réjouissait alors Dawn Ostroff, la directrice du contenu de Spotify ; tandis que Daniel Ek précisait dans un billet de blog : “Spotify devient maintenant le premier éditeur de podcasts avec plus de shows que n’importe quelle compagnie”. L’appétit de Spotify pour les jeunes pousses de la production de podcasts ne s’est pas arrêtée là. Au mois de février 2020, le géant du streaming suédois se portait acquéreur de The Ringer, une autre société de production californienne fondée en 2016 par un chroniqueur de la chaîne ESPN, qui produit des podcasts de divertissement, de sport et de pop culture touchant une audience de 14 millions d’auditeurs tous les mois aux Etats-Unis.
Un positionnement de producteur… et d’agrégateur
L’acquisition de l’hébergeur et distributeur de podcasts Anchor relève d’une autre logique, qui traduit la volonté de Spotify de se positionner non seulement comme producteur de podcasts mais également comme agrégateur. Anchor fournit aux internautes des outils en ligne permettant d’enregistrer facilement des podcasts depuis n’importe quel périphérique (ordinateur, tablette, téléphone mobile) et de leur ajouter un fond musical. Des milliards d’heures de programmes ont déjà été créées sur cette plateforme, qui vont venir abonder le catalogue de podcasts de Spotify. Surtout, elle va lui permettre d’obtenir des droits de distribution sur de gros volumes de productions, via cette plateforme et à ses propres conditions.
“En ce qui concerne les podcasts et autres contenus non musicaux, nous produisons ou commandons le contenu nous-mêmes ou obtenons les droits de distribution directement auprès des détenteurs de droits. Dans le premier cas, nous utilisons différents modèles commerciaux pour créer des contenus originaux. Dans le second scénario, nous négocions des licences directement avec des personnes ou des entités ou nous obtenons les droits par le biais de nos propres plateformes”, précisait Barry McCarthy au Wall Street Journal. Et de citer également, outre Anchor, deux autres plateformes lancées par Spotify pour permettre aux créateurs de podcasts de poster directement leurs productions sur sa plateforme, après avoir accepté de se conformer aux conditions qu’elle impose, et d’en mesurer l’audience : Soundtrap for Storytellers et Spotify for Podcasters.
Studio de création musicale en ligne suédois lancé en 2012 et acquis par Spotify en 2017, Soundtrap, qui offre tout un éventail de services de collaboration et d’enregistrement sur le Web, est devenu une plateforme très populaire pour l'enseignement de la musique dans les écoles et pour la réalisation de podcasts. En mai 2019, cet éditeur de logiciels d’édition musicale, désormais propriété de Spotify, lançait un nouveau service Web de production de podcasts, Spotify for Storytellers, permettant aux podcasteurs d’enregistrer, éditer et masteriser leur contenu audio.
“Offrir une palette d'outils gratuits encore plus riche pour la création de musique et de podcasts en ligne est susceptible d’inspirer une plus grande créativité”, considère Per Emanuelsson, directeur général de Soundtrap chez Spotify. L’initiative vise directement à encourager les nouveaux podcasteurs et les amateurs à produire des émissions, ce qui permettra d’étendre le catalogue de podcasts de Spotify à bon compte, en ouvrant largement ses portes aux contenus UGC (User Generated Content) en voie de professionnalisation, comme a pu le faire Youtube en son temps pour la vidéo.
Faire baisser le coût des revenus du streaming
Le lancement de la plateforme Spotify for Podcasters, sorti de son bétatest en août 2019, procède de la même stratégie. Véritable tableau de bord conçu pour les créateurs de podcasts, il leur fournit toutes les données, métriques et statistiques leur permettant de mesurer et qualifier l’audience de leurs productions sur la plateforme de streaming, à la manière de son service Spotify for Artists pour les musiciens. Le fait de fournir aux podcasteurs des informations détaillées sur leurs auditeurs - données qu'ils ne peuvent obtenir nulle part ailleurs - rend le choix de Spotify comme agrégateur plus attrayant pour eux.
“Grâce à cette nouvelle plateforme que nous testons, les créateurs de podcasts qui hébergent leurs podcasts ailleurs pourront mettre leurs émissions à la disposition des utilisateurs de Spotify en nous fournissant leur flux RSS. Cela leur permettra de les rendre facilement accessibles à notre public de plus de 180 millions d'auditeurs dans le monde, et de voir les statistiques quotidiennes sur les personnes qui les écoutent et d'où elles viennent”, indiquait la compagnie lors du lancement du bétatets de Spotify for Podcasters fin 2018.
Spotify a de bonnes raisons de promouvoir autant que faire se peut l’écoute de podcasts sur sa plateforme. “Quand les gens écoutent de la musique sur notre service, nous devons payer des royalties ; lorsque ils écoutent des podcasts ce n’est pas le cas. Donc, plus les gens écoutent des podcasts plutôt que de la musique, plus nous y gagnons en fin de compte”, soulignait sans ambages Daniel Ek lors d’un conference call avec des investisseurs en février 2020.
Lors la présentation des résultats trimestriels de la firme quelques mois plus tôt, alors qu’elle enregistrait son troisième trimestre bénéficiaire de l’année, le directeur financier de Spotify Barry McCarthy, qui fut l’architecte de son introduction directe à la Bourse de New York en 2018, laquelle a permis à ses primo-investisseurs et à ses fondateurs de céder tout ou partie de leurs actions pour plusieurs milliards de dollars en 24 heures, avait affirmé que le podcasting allait enfin permettre à Spotify d’atteindre son objectif de réaliser une marge opérationnelle de 35 %, soit 10 % de plus qu’en 2019. “Plus la proportion de podcasts est importante dans notre offre, plus nos opportunités de marge le sont”, déclarait cet ancien directeur financier de Netflix, qui a quitté Spotify début 2020.
Grâce aux podcasts, Spotify espère réduire son coût des revenus, essentiellement composé des royalties reversées aux ayant droit de la musique, qui peut atteindre 70 % à 80 % de son chiffre d’affaires, et reste un coût variable difficile à maîtriser, en raison notamment des minimums garantis par écoute accordés aux grandes maisons de disques. Ce coût des revenus devient un coût fixe avec les podcasts, qui ne sont pas rémunérés à l’écoute, et ne sont même pas rémunérés du tout pour la plupart d’entre eux à l’heure qu’il est, s’il n’intègrent pas eux-mêmes de la publicité ou ne font pas appel au sponsoring, ce à quoi Spotify les autorise, en attendant de pouvoir leur fournir de la publicité lui-même.
En tant que plus gros producteur de podcasts, Spotify s’assure par ailleurs de percevoir directement une part conséquente des revenus qu’ils généreront sur sa plateforme, même s’il devra faire face en tant que tel à une forte concurrence. “Nous sommes confrontés à une concurrence accrue de la part d'un nombre de plus en plus grand de fournisseurs de podcasts […]. Ils peuvent être plus performants que nous pour anticiper les préférences des utilisateurs, fournir un contenu plus populaire et innover en matière de nouvelles fonctionnalités”, indiquait la compagnie dans son rapport annuel 2019.
Un business model publicitaire
Si concurrence il y a, entre la musique et les podcasts, ou bien entre Spotify et d’autres producteurs de podcasts, c’est dans le partage des revenus publicitaires que promet de générer ce nouvel inventaire de contenus audio sur sa plateforme de streaming. Spotify n’a pas fait montre, jusqu’à présent, de vouloir monétiser les podcasts autrement. Comme la radio, leur écoute est gratuite et financée par la publicité. Dès la mi-2018, la compagnie commençait à vendre de la publicité dans ses productions originales.
“Le podcasting peut booster les revenus publicitaires de Spotify, confiait son directeur financier en 2019. Nos études montrent qu'un pourcentage stupéfiant de 81 % des auditeurs ont réagi après avoir entendu des publicités audio pendant un podcast. Ces réactions comprennent la recherche du produit en ligne, la connexion avec la marque sur les réseaux sociaux, et des discussions sur la marque avec d'autres personnes... Spotify étudie comment donner aux marques la possibilité de cibler les publicités sur la plateforme en direction de ses nouveaux auditeurs de podcasts".
A l’occasion du Consumer Electronic Show de Las Vegas, en janvier 2020, la plateforme de streaming suédoise franchissait un cap important en lançant sa propre plateforme d’insertion dynamique de publicités dans les podcasts - “Streaming Ad Insertion” (SAI). Encore en phase de test, cette plateforme SAI n’est fonctionnelle dans un premier temps que pour les contenus originaux de Spotify et les podcasts qui jouissent d’un deal de distribution exclusif avec la compagnie. “Notre technologie SAI […] offre une suite d’outils numériques complète en matière de planification, de reporting et de mesure d’audience pour les podcasts originaux et exclusifs de Spotify”, précisait un billet de blog.
Nombre d’impressions (de fois où une publicité a été écoutée), fréquence (nombre de fois qu'un auditeur a entendu la publicité), portée de la campagne et informations anonymisées sur l'audience (âge, sexe, type d’appareil utilisé, etc.), sont autant de métriques que la technologie SAI de Spotify fournit aux annonceurs, dans une industrie - celle du podcasting - qui manque cruellement d’outils de mesure d’audience. C’est la première fois qu’une telle granularité dans les données d’écoute est atteinte, se félicite la compagnie, qui tire parti des milliards de téraoctets de data dont elle dispose sur les habitudes d’écoute de ses utilisateurs pour affiner son ciblage publicitaire en temps réel.
En sous-marin contre Apple, et non contre la musique
Si Spotify reste vague sur ses velléités d’ouvrir sa plateforme SAI à tous les podcasts de son catalogue, cette perspective ne fait pas vraiment de doute, dans la mesure où elle lui permettrait de se positionner comme l’un des plus gros réseaux publicitaires du podcasting, et d’offrir un moyen de monétiser leur production à tous ceux qui utilisent ses services d’agrégateur.
Apple jouit jusqu’à présent d’un très relatif monopole dans la distribution de podcasts, même si d’autres acteurs fourbissent aussi leur armes - tel Google, qui permet d’écouter directement les podcasts qui s’affichent dans ses résultats de recherche ou Pandora, qui a lancé un outil permettant aux podcasteurs de lui adresser leurs shows. “Vous n’existez pas dans le podcasting si vous n'avez pas d'émissions listées dans les podcasts d'Apple", déclarait l’an dernier à Bloomberg Lex Friedman, directeur des recettes d'Art19, une société qui fournit des services à des producteurs de podcasts américains tels que Wondery Media et Tribune
L’arrivée de Spotify sur ce marché, avec la force de frappe de ses 270 millions d’utilisateurs actifs tous les mois, pourrait faire émerger un véritable duopole, à défaut de déclencher une guerre des plateformes. Caroline Crampon, journaliste anglaise qui suit l’actualité du podcasting sur son blog Hot Pod depuis 2014, y voit un moyen pour la compagnie “de renforcer orthogonalement sa position sur le front de la musique”. “En fin de compte, explique t-elle, la compétition consiste pour chacun à faire rentrer les utilisateurs, le public et les auditeurs dans son écosystème, et chaque utilisateur occasionnel d'Apple Podcast qui se transforme en utilisateur de Spotify Podcast est potentiellement un utilisateur d'Apple Music en moins”.
Selon une étude publiée mi-2019 par la société américaine Voxnest, qui propose des solutions d’édition, de distribution et de monétisation des podcasts, Apple dominait toujours l’audience du podcasting au niveau mondial à cette date, même si Spotify faisait montre de rattraper rapidement son retard, passant déjà devant Apple dans plusieurs pays européens - dont les Pays-Bas, l’Allemagne et la Bulgarie -, mais aussi en Amérique Centrale et en Amérique Latine. Le cabinet d’études anglais Midia Research confirmait la domination d’Apple, à condition de cumuler ses deux applications, Apple Podcast et Apple Music. Les deux plateformes n’en sont pas moins au coude à coude en Angleterre. Et si on considère la part de marché de chaque application prise séparément, c’est Spotify qui tient la corde outre-Manche, de même qu’en Australie et au Canada.
Pour la première fois depuis son lancement dans la distribution de podcasts en 2005, Apple, qui voit le vent tourner, a rafraîchi l’an dernier son application dédiée, ajoutant de nouvelles fonctions pour les créateurs de podcasts. La compagnie a également lancé un service de mesure d’audience maison dans la foulée, et une interface Web permettant d’accéder directement à son catalogue de podcasts sur la toile, depuis n’importe quel logiciel de navigation, sans en passer par ses applications.
La chasse gardée de l’abonnement préservée
En l’état, l’arrivée de centaines de milliers de podcasts sur Spotify (près de 30 millions d’épisodes) ne menace pas vraiment la chasse gardée de la musique qu’est l’abonnement, lequel pèse 90 % des revenus que la plateforme de streaming génère pour elle. Et si l’industrie musicale peut y perdre quelques plumes publicitaires à court terme, elle y gagne en contrepartie un nouveau champ d’opportunités, au point que les majors de la musique, qui connaissent la capacité de Spotify à monétiser leur contenu grâce à la publicité, investissent directement elles-mêmes dans la production de podcasts.
“Aux taux actuels de consommation et de croissance, [les podcasts] pourraient potentiellement rivaliser avec la part d’écoute consacrée à la musique, donc il est évident que c'est quelque chose que nous gardons à l'œil", indique Barat Moffit, vice-président d’Universal Music Group (UMG) en charge de la stratégie de contenu. En avril 2019, UMG, qui s’essaye déjà à la production de podcasts depuis 2012, a conclu un partenariat avec l'éditeur indépendant de podcasts Wondery, fondé en 2016 par Hernan Lopez, ancien P-dg de Fox International Channels, pour développer des podcasts originaux de qualité mettant en avant son catalogue, accessibles dans le monde entier sur toute plateforme où Wondery met ses productions à disposition.
Selon la société d’études Podtrac, Wondery est le quatrième plus grand éditeur de podcasts aux États-Unis, avec une audience mensuelle de plus de 7,8 millions de personnes et quelques 67 émissions actives, qui ont été téléchargées ou écoutées à la demande 54,7 millions de fois. “Grâce à la collaboration avec le réseau de storytellers de Wondery, nos podcasts offriront aux fans et aux nouveaux publics des perspectives plus approfondies sur les artistes, leur musique et les événements qui influencent et façonnent la culture", indique la maison de disques dans un communiqué. Elle prévoit également d'utiliser les podcasts comme "incubateur" de projets de films et de télévision.“Le podcasting est une opportunité pour nous de développer à moindre coût de nouvelles idées […], cela fait partie de ce que nous aimerions faire avec Wondery”, explique Barat Moffit.
Certaines adaptations de podcasts au grand écran ont déjà rencontré le succès à Hollywood (Dirty John, Homecoming), c’est pourquoi les podcasts musicaux pouvant déboucher sur des adaptations cinématographiques ou télévisuelles sont une priorité pour UMG. “Nous consacrons un temps et une énergie considérables à chercher comment faire vivre notre catalogue sous d’autres formes à la télévision ou au cinéma”, indique son vice-président du contenu. Le succès de biopics comme Bohemian Rhapsody et Rocketman montre la voie.
Un nouveau terrain de jeu pour les labels et les artistes
L’essor du podcasting constitue à n’en pas douter une nouvelle fenêtre d’exposition pour la musique, et une nouvelle source de revenus potentielle pour son industrie. Le numéro un du marché de la musique enregistrée n’est pas le seul à se positionner sur ce terrain. Le label Atlantic Records de Warner Music Group (WMG) a ouvert son propre studio de podcasting à New York dès début 2018, et lancé deux séries de podcasts musicaux depuis, What’d I Say et Inside The Album.
Dans son studio de production transmédia Rumble Yard également situé à New York, la maison de disques Sony Music Entertainment produit elle aussi des podcasts, comme la série The Lost Art of Liner Notes ou This Week In Country Music ; et certains de ses artistes prennent directement l’initiative, à l’instar de George Ezra, dont le podcast George Ezra & Friends rencontre un franc succès.
Les ambitions de la major japonaise dans ce domaine ne s’arrêtent pas là. Fin octobre 2019, SME annonçait la création d’une joint-venture avec la société de production de podcasts anglaise Brocoli Content fondée par Renay Richardson, un producteur de podcasts indépendant expérimenté, qui a travaillé pour des plateformes de podcasting comme Acast ou Audible, et avec lequel SME prévoit de développer une large gamme de podcasts originaux supportant ses artistes et son catalogue, en partenariat avec la division créative de Sony Music UK, 4th Floor Creative.
Début février 2020, SME annonçait la création d’une autre joint-venture dédiée à la production de podcasts avec la société de production audio anglaise Somethin’ Else, sur des thèmes qui ne sont pas nécessairement musicaux. Parmi les nouvelles séries qui seront lancées dans le cadre de cet accord, le podcast How Did We Get Here ?, avec Claudia Winkleman et le professeur Tanya Byron, traite essentiellement de questions relatives à la famille et à l'éducation des enfants. Ce n’est pas la deuxième mais la troisième initiative de ce type de la part de SME. En mai 2019, la major créait une première joint-venture dans le secteur avec deux journalistes américains producteurs de podcasts émérites, Adam Davidson et Laura Mayer, pour produire des shows en tout genre.
Au delà de la production de podcasts elle-même, reste à explorer, pour l’industrie musicale, ce que peut représenter en terme de source de revenus l’utilisation de musiques du commerce par les podcasteurs (génériques, ambiance, programmation musicale…). Universal Music a déjà conçu un portail Web à leur intention, qui leur propose des playlists thématiques et des sélections de musiques. En France, il leur en coûtera 100 € par musique et par épisode, indiquent les tarifs de la major. Pas de licence légale, comme à la radio. A l’avenir, l’identification des musiques du commerce exploitées sur les plateformes de podcasting sera probablement un nouvel enjeu de monétisation pour l’industrie musicale, comme elle le fut et le reste encore sur Youtube.