Les entretiens de @music_zone #1 : Cyril Zajac, fondateur d'Omnilive
Cyril Zajac, fondateur de Omnilive, qui réalise des livestreams de concerts multi-caméra, répond aux questions de @music_zone sur les enjeux, opportunités et perspectives de cette nouvelle industrie.
Cyril Zajac est le fondateur de Current Productions, start-up française qui a mis au point la technologie Omnilive, de captation et diffusion de concerts en direct et en multi-caméra. Omnilive, qui peut agréger et gérer simultanément jusqu'à neuf flux vidéo, permet à l'utilisateur de se transformer en réalisateur, et de choisir son point de vue parmi les angles offerts à tout moment pendant la diffusion, sans temps de latence ni interruption des flux.
“On a inventé un process qui permet de changer instantanément d’angle de vue. Et ça n’existait pas avant : être capable de produire une expérience ‘sans couture’, ou tu vas pouvoir être dans le contenu, chanter à tue-tête avec ton chanteur préféré, et quand tu changes du guitariste au chanteur, il n’y a pas de rupture dans l’expérience”, résume Cyril Zajac, dont le premier métier est celui de la production et de la réalisation audiovisuelles.
En 2013, Current Productions, dont la technologie de multiplexage et démultiplexage est brevetée, a signé un premier contrat avec la société Air Productions de Nagui, pour réaliser la version Web de l'émission Taratata alors privée d'antenne. « Vous pouvez suivre Taratata sur le web et voir toutes les caméras de Gérard Pullicino, comme si vous étiez en régie à ses côtés. L’internaute peut réaliser lui-même l’émission pendant sa diffusion : il peut « commuter » ou décider de laisser la caméra en permanence sur le chanteur, le batteur ou le bassiste… Cette évolution correspond aux nouveaux modes de consommation du web : tout le monde peut maintenant véritablement “faire” son Taratata ! », expliquait alors Nagui.
Une invention prématurée
La technologie Omnilive est arrivée un peu tôt sur le marché. “C’était une vraie valeur ajoutée, qui a été comprise par pas mal de gens, mais qui n’a pas donné lieu à du business”, explique Cyril Zajac. “On n’a effectivement pas rencontré notre marché. On a signé très rapidement avec Taratata, donc les signaux étaient bons, on voyait bien qu’il y avait des gens que cela intéressait, mais 2011 [année de création de la société, ndr], c’est un an après l’ouverture de l’App Store, c’est la sortie de l’iPhone 3GS, on est au tout début de ce qu’on peut appeler l’interactivité.”
Jusqu’en 2019, la technologie Omnilive, qui a séduit le MIT (Massachusetts Institute of Technology) à Boston, a surtout trouvé des débouchés dans le domaine de l’éducation. “Dans l’éducation, […] on a eu immédiatement une adhésion complète et le marché a été très réactif. Avec un référence comme le MIT, on a très rapidement signé des contrats. On n’est pas leader sur le marché […], mais on a de très belles références”, indique Cyril Zajac.
Diffuser un cours magistral en multi-caméra permet à l’étudiant de se concentrer instantanément sur les éléments de son choix (le professeur, les slides de sa présentation, le tableau noir, etc.), comme s’il était présent dans la salle. Grâce à cette interactivité en temps réel, il acquiert l’enseignement transmis à sa manière, et conserve un niveau de concentration élevé. “En Omnilive, comme j’ai tous les angles de vue en même temps, je suis vraiment dans une expérience proche du présentiel ; je crée une expérience d’apprentissage homogène dans laquelle ma concentration est toujours au top”, explique Cyril Zajac.
L’interactivité introduite, qui maintient l’attention de l’étudiant lors d’un cours à distance, est au cœur de l’expérience apportée dans le cas de la diffusion de concerts en multi-caméra. Il ne s’agit pas tant de transformer le spectateur en réalisateur, que de captiver son attention en lui permettant de se concentrer spontanément sur ce qui l’intéresse, comme il le fait lorsqu’il est dans la fausse : sur le solo du guitariste, la prestation de la bassiste, celle du batteur ou de la chanteuse... “C’est ce sur quoi on échange à la sortie des concerts”, rappelle Cyril Zajac.
Une marché déjà en voie de consolidation
Après quelques incursions dans le sport aux côtés de France Televisions, Omnilive a renoué dès 2019 avec sa volonté de réaliser des captations de concerts. “La pandémie a agi pour nous comme un facteur d’accélération d’usage magistral”, reconnaît Cyril Zajac. En 2020, sa société a réalisé les plus gros livestreams effectués en France depuis le début de la crise sanitaire (de Jenifer, M Pokora, ou du groupe de métal Behemoth...). Pour le fondateur d’Omnilive, on ne reviendra pas au monde d’avant. Le live streaming est là pour rester. Et le marché est déjà en train de se structurer à la vitesse grand V.
“Entre mars et décembre 2019, explique t-il, on a vu énormément de nouvelles offres se positionner, plein de nouveaux acteurs arriver, de nouvelles plateformes… Depuis janvier 2020, le marché est en train de se consolider. Et dans six mois c’est plié.” Il en veut pour preuve les manœuvres les plus récentes d’acteurs majeurs : “Universal Music a investi dans Big Hits [plus exactement dans la plateforme de livestreaming du géant sud-coréen de la k-pop] ; Live Nation a racheté en grande partie Veeps ; Dice est en train de se positionner sur l’après-Covid ; Bancamp a mis en place les premières offres d’abonnement ; Warner a investi dans Songkick. Les seuls gros acteurs qui ne se sont pas positionnés sont Spotify et Deezer”.
Le fondateur d’Omnilive en est convaincu : il sera bientôt trop tard pour réagir. Et l’attentisme qu’il perçoit en France ne lui semble pas de bon aloi. “Il ne faut pas nier la réalité, explique t-il. Les artistes internationaux ne vont pas revenir en tournée avant 2024. Les salles de spectacle vont peut-être rouvrir en septembre, mais elles ne reviendront pas avant longtemps à un niveau correct de programmation. Qu’est-ce qu’on fait pendant ce temps là ? On laisse les autres se positionner ?”
Une expérience à construire
Cyril Zajac appelle les acteurs de la filière du spectacle vivant à ne pas attendre pour expérimenter, innover, tenter : “Le numérique apporte énormément d’opportunités, pour créer des choses qui ne sont pas de l’ordre du spectacle vivant. Nous ne sommes pas là pour remplacer le spectacle vivant […]. Mais on voit dans le livestream une dimension d’accessibilité que le live n’offre pas. La plupart des gens qui achètent des billets de livestream ne vont majoritairement pas aux concerts. C’est un fait”. Il y voit une nouvelle audience potentielle que les producteurs de spectacles n’exploitent pas.
“Ce qu’on voit du livestream aujourd’hui n’est pas ce qu’on en verra demain. Grâce aux expérimentations qu’on est en train de mener et aux retours d’expérience qu’on en a, on est en train de développer de nouveaux outils, certains dont nous avons la vision ; et d’autres technologies apparaîtront qui transformeront l’expérience du livestream”, confie Cyril Zajac, qui pense déjà réalité virtuelle et augmentée. Il reste avant tout fidèle à son objectif premier : “Amener la salle de concert chez monsieur tout le monde”.