Industrie du streaming : une grille de salaire des artistes en France
Premier d'une série d'articles sur l'économie du streaming en France, et sur les voies d'une transition vers un modèle plus durable et équitable. 1/ Une grille de salaire des artistes.
A défaut de trancher véritablement dans ses conclusions sur l'intérêt ou non de changer de mode de répartition des revenus du streaming sur abonnement, et de passer de leur répartition au pro-rata des écoutes à une répartition par abonné, l'étude menée par le cabinet Deloitte pour le compte du Centre national de la musique (CNM), à partir de jeux de données de Deezer et de Spotify, fournit des informations inédites sur la concentration de ce marché sur notre territoire. En extrapolant à l’ensemble des plateformes les données fournies par Deezer à Deloitte sur les parts de marché des différents top artistes (top 10, top 11-100, top 101-1000, etc.), il est possible d’établir une grille des salaires que les artistes tirent du streaming.
D'après les données fournies par Deezer sur l'année 2019, les dix artistes les plus écoutés sur sa plateforme en France ont capté près de 10 % des revenus de l'abonnement qu'elle a reversé aux producteurs (9,3 %). En extrapolant cette part de marché du top 10 sur Deezer à l'ensemble du marché français de l’abonnement, qui a pesé 285,76 M€ en 2019, selon le SNEP, on peut estimer le chiffre d’affaires brut réalisé par les 10 premiers artistes du top streaming à 26,57 M€ en 2019, soit une moyenne de 2,65 M€ par artiste.
300 K€ à 650 K€ de revenus par an pour un artiste du top 10
Ce CA brut totalise l’ensemble des redevances reversées à toute la chaîne de valeur de la musique enregistrée (hors droits d’auteur payés directement par les plateformes à la Sacem) : aux distributeurs (comme Believe, Idol, ou les majors du disque elles-mêmes), qui reversent leur quote-part aux producteurs (les labels, indépendants ou non), qui reversent ensuite la leur aux artistes, en fonction du taux de royalties prévu à leur contrat.
En retenant le taux de royalties moyen avant abattement de 10,9 % constaté en France pour les contrats d’exclusivité, par une étude du cabinet Bearing Point réalisée en 2017 pour le compte du Ministère de la Culture, on peut estimer le revenu annuel moyen d’un artiste du top 10 du streaming musical (hors revenus publicitaires du streaming gratuit) à environ 290 K€ (2,65 M€ x 10,9 %).
Pour les contrats de licence - lorsque l’artiste a produit lui-même l’enregistrement et ne délègue que le marketing, la promotion et la distribution -, le taux moyen avant abattement constaté en France est de 24,8 %, selon Bearing Point. Le revenu moyen annuel d’un artiste du top 10 sous contrat de licence s’élèverait donc, sur ces mêmes bases, à environ 650 K€ (1).
Le top 1000 capte les deux tiers des revenus de l’abonnement
Les données fournies par Deezer, extrapolées à l’ensemble du marché, créditeraient le top 11-100 des artistes les plus écoutés en France (90 artistes) de 21,6 % de parts de marché, soit un CA brut de 61,72 M€ pour la filière phonographique, et de 685 K€ par artiste en moyenne. Le revenu annuel moyen d’un artiste du top 11-100 en contrat d’exclusivité s’élèverait donc à environ 75 K€, selon nos calculs (685 K€ x 10,9 %), et à 170 K€ dans le cadre d’un contrat de licence.
Le top 101-1000 des artistes (900 artistes) a capté quant à lui 36,4 % des revenus de l’abonnement chez Deezer en 2019, soit 98,8 M€ extrapolé à l’ensemble du marché, et environ 110 K€ par artiste. On peut certes estimer sur cette base le revenu moyen annuel d’un artiste du top 101-1000 : environ 12 K€ pour un contrat d’exclusivité, et 27 K€ pour un contrat de licence. Mais il y a fort à parier qu’au sein même de ce collège, les plus fortes rémunérations se concentrent sur le haut du panier.
Une plus grande granularité des données fournies par les plateformes permettrait certainement d’établir que seule une minorité d’artistes du top 101-1000 parvient à tirer un revenu de subsistance de l’abonnement, la moyenne se situant en deçà d’un SMIC annuel pour les contrats d’exclusivité. Si l’on agrège les données fournies par Deezer extrapolées à l’ensemble du marché, le top 1000 des artistes les plus écoutés (incluant le top 10 et le top 11-100) a capté 67,3 % des revenus de l’abonnement en 2019, c’est à dire les deux-tiers, soit 187 M€.
Une longue traine à la traine
Selon la même extrapolation des données de Deezer, le top 1001-10000 a généré 25 % des revenus de l’abonnement en 2019, soit environ 70 M€ pour la filière phonographique, et une moyenne de 8000 € par artiste. Au delà du top 1000, on tombe à quelques centaines d’euros de royalties perçues en moyenne par les artistes en bout de chaîne, avec probablement, là aussi, de très fortes disparités entre le haut et le bas du panier. Reste 7,7 % de part de marché pour la longue traine (le top 10000+), qu’on ne peut pas vraiment dénombrer, et probablement quelques euros de royalties perçus dans l’année pour les mieux lotis des artistes qui la composent.
Le marché français ne ruisselle donc pas vraiment. Les artistes sont encore loin de parvenir à briser le plafond de verre du 90/1 (1 % des artistes capte 90 % des revenus du streaming) qui sévit à l’échelle internationale. Il ne supporte même pas la comparaison avec le marché américain, lui même très concentré mais beaucoup moins. Selon des données de BuzzAngle, qui portent sur l’année 2018, le top 50 des artistes ne capte que 0,7 % des écoutes aux Etats-Unis (et donc des revenus, dans un système au pro-rata), et le top 500 est à 10,7 %. Le top 5000 pèse un gros tiers du marché (36,1 %), et le top 50 000 atteint 70 %.
(1) Cette évaluation envisage le cas d’un artiste solo en contrat d’exclusivité ou de licence avec une major. Dans le cas d’un contrat avec un label indépendant, l’assiette de calcul des royalties de l’artiste est amputée de la part prélevée par le distributeur (de 15 % à 30 %)