Allfeat.network, blockchain musicale "open source" née en France
Dotée d'une architecture logicielle écologique et de modules de smart-contracts sécurisés, Allfeat.network est une blockchain open source 100 % musicale mise à disposition des acteurs de l'industrie.
L’application musicale décentralisée (ou DApp) qu’ils ont développée ensemble, dans le cadre d’une formation aux technologies de blockchain délivrée par l’école française Alyra, a été distinguée parmi une cinquantaine de projets. Et elle a reçu les félicitations du jury. C’est ce qui a amené Jean-Christophe Barat, Tanguy Lairy et Loïs Lagoutte, trois passionnés du Web3 que les circonstances ont réunis, à s’associer pour aller plus loin. Après avoir obtenu haut la main leur certificat de compétences respectif en gestion, conduite et développement de projets de blockchain, les trois compères ont décidé de se lancer dans le développement de Allfeat.network : une blockchain open source 100 % musicale, destinée à servir d’infrastructure de base à tout un écosystème de Dapps professionnelles et grand public.
“Nous voulions répondre au trois enjeux majeurs auxquels est confronté l’industrie musicale aujourd’hui : de traçabilité, de certification, et d’authentification”, raconte JC Barat. L’objectif était de fournir un réseau transactionnel parfaitement sécurisé, permettant d’intégrer facilement ces trois fonctions de base au sein d’applications musicales décentralisées. Le modèle se devait d’être durable (en terme de coût des transactions comme de consommation électrique), et capable de monter rapidement à l’échelle dans une perspective de développement rapide à l’international. “On voulait également avoir quelque chose de très puissant en terme de sécurisation”, précise JC Barat. C’était une “pierre angulaire” du projet.
Une architecture logicielle écologique
Pour développer la blockchain Allfeat.network, l’équipe des Allfeat Labs, structure créée par les trois associés dont le siège est basé à Montpellier, s’est appuyée sur l’architecture logicielle libre Substrate, développée dans le langage informatique open source Rust, qui est réputé réduire la consommation électrique de 50 %, grâce à un usage moindre du CPU (processeur) et de la mémoire des ordinateurs. Il est en outre bien plus sécurisé que d’autres langages de programmation comme C, C++ ou Python.
L’architecture Substrate, qui est utilisée par des dizaines de crypto-monnaies - dont Polkadot (DOT), Chainlink (LINK), Kusama (KSM) et 0x Protocol (ZRX) -, fournit les fonctions de base d’une blockchain, comme les mécanismes de signature ou de consensus, la gestion des comptes, ou celle des blocks et des transactions. “Rust n'est pas le premier langage efficace. Le langage C existe depuis longtemps, mais Rust est le premier langage de programmation grand public qui soit efficace sans sacrifier la sécurité”, estime Shane Miller, ingénieur logiciel chez AWS (Amazon Web Services) et président de la Fondation Rust, qui est cité dans le lightpaper de Allfeat.network1.
Le protocole de consensus informatique mis en oeuvre dans l’architecture Substrate, pour valider les nouveaux blocks de transactions inscrits dans la blockchain, est celui de la Proof-of-Stake (PoS, ou “preuve d’enjeu”), qui est beaucoup moins énergivore que le protocole de Proof-of-Work (PoW, ou “preuve de travail”) mis en oeuvre dans la blockchain de la crypto-monnaie Bitcoin, démesurément consommateur en puissance de calcul. “Le PoS est considéré par la vox populi comme le protocole le plus green”, confirme JC Barat, qui prend soin de relativiser l’impact énergétique des blockchains au regard de ce qu’est la consommation électrique du Web et de toutes ses infrastructures, en soulignant la forte propension du secteur à privilégier les sources d’énergie résiduelles (géothermie, hydraulique, gaz naturel issus du torchage…).
Des “modules” de smart-contracts sécurisés
Les concepteurs de Allfeat.network se sont particulièrement attachés à résoudre les problèmes de sécurité posés par les smart-contracts (ou contrats autocertifiés), auxquels font appel les Dapps, qui automatisent l’exécution de transactions sur les blockchains, et sont de fait leur principal talon d’Achille. “Lorsqu’on écrit un smart-contract, on donne une autonomie à une ligne de code. C’est une sorte de SOMME.SI sur Excel : par exemple, je donne à Lucas si la case est verte ; je donne à Eric si la case est bleue, etc…”, explique JC Barat. De la même manière, on peut inscrire dans un smart-contrat les clés de répartition automatique des revenus d’une chanson à ses différents ayants droit. L’erreur étant humaine, le code de ces contrats auto-certifiés n’est pas toujours exempt de coquilles, que des pirates peuvent exploiter pour détourner les flux financiers qu’ils génèrent.
“Les hacks de smart-contracts ont pesé 1,6 milliard de dollars entre 2016 et 2019. En 2022, ils ont permis de détourner 2,7 milliards de dollars”, rappelle JC Barat. Pour se prémunir de ce risque, les concepteurs de Allfeat.network ont pris le parti de pré-écrire un certain nombre de smart-contrats conçus pour l’industrie musicale, dont la sécurité est auditée en amont de leur enregistrement dans la blockchain, comme autant de modules (ou briques logicielles) mis à disposition des développeurs de Dapps musicales, au sein d’une bibliothèque dans laquelle ils peuvent puiser dans une logique de programmation objet.
Les smart-contracts conçus en amont par Allfeat vont de l’enregistrement du profil complet d’un artiste, ou des références d’une chanson avec ses ayants droit, à la création et à la gestion de NFT. La structure Allfeat Labs créée par les trois fondateurs accompagne les porteurs de projets sur Allfeat.network, les forme et les conseille, et poursuit la création de modules de smart-contrats dédiés à l'industrie musicale pour répondre à leurs demandes. Les développeurs peuvent le cas échéant modifier les modules existants, et enregistrer leurs adaptations comme nouveaux modules dans la blockchain. “Nous sommes public depuis un mois, et en octobre de l’année dernière, nous avions signé 47 NDA, ou accords de confidentialité [avec des porteurs de projets de Dapps]”, confie JC Barat.
Une gouvernance autonome et décentralisée
La blockchain Allfeat.network étant conçue comme un commun vertical complètement open source - “N’importe qui peut voir ce qui se passe dedans, ouvrir le capot et l’auditer”, indique JC Barat -, Allfeat Labs n’a plus vocation à jouer un rôle central dans sa gouvernance. Cette dernière est désormais confiée, via une association, à la communauté de ses utilisateurs, sur le modèle des DAO (Decentralized Autonomous Organization). “Les majors, les labels, les artistes, les collecteurs de droits, tout les acteurs liés à la musique peuvent rentrer dans la gouvernance [de cette blockchain] et proposer de nouveaux outils, commente JC Barat. […] Le fait de détenir des tokens AFT permet d’être éligible à cette gouvernance à l’échelle mondiale”.
L'AFT est le jeton natif de Allfeat.network. Utilisé pour la gouvernance du réseau et la gestion de ses opérations dans le cadre du protocole PoS (qui exige d’immobiliser des jetons - staking - pour participer à la validation des nouveaux blocs de transactions et avoir une chance d’en tirer profit), le jeton AFT a également vocation à être utilisé comme monnaie d'échange dans toutes les applications créées par la communauté. En tant que token d’une blockchain entièrement dédiée à la musique, il permettra aux artistes, aux fans, ou à n’importe quel utilisateur d’applications décentralisées de naviguer sans obstacle dans tout l’écosystème musical d’Allfeat.network, et de faciliter l’accès des artistes à leurs data sans avoir à jongler avec une multitude de portefeuilles électroniques… à condition de susciter une très large adoption par les acteurs de l’industrie.
Après avoir “brûlé” environ 200 000€ dans le développement de Allfeat.network, les fondateurs de Allfeat Labs sont allés pitcher leur projet aux quatre coins du monde - en Espagne (à Barcelone), au Portugal (à Lisbonne), en Allemagne, en Belgique, en Italie, aux Etats-Unis, au Québec (à Montreal), mais aussi en Corée du sud, en Nouvelle Zélande ou en Australie, et à distance jusqu’en Amérique latine. C’est ce qui leur a permis de lever 600 000 € en pre-amorçage au mois de février dernier, grâce à la vente de jetons AFT.
Une solution d’intéropérabilité
“Aujourd’hui, nous sommes la seule infrastructure dédiée au monde de la musique et gérée par le monde de la musique qui soit vraiment interopérable. Il y a 300 millions d’euros de market cap dans la musique sur une cinquantaire de projets Web3 qui ne peuvent pas communiquer techniquement entre eux, parce que les blockchains sur lesquelles ils sont ne sont pas interopérables : Ethereum n’est pas interopérable avec Polkadot, qui ne l’est pas avec Avalanche ou Tezos. Ce que nous proposons avec Allfeat, c’est une infrastructure sécurisée qui permet à tous les acteurs du monde de la musique de se plugger entre eux”, explique JC Barat.
A défaut de campagne de communication, le lightpaper (un whitepaper complet est en cours de rédaction) et la documentation destinée aux développeurs2 suffisent à faire passer le message. Et la sauce prend. De nouvelles discussions viennent de démarrer avec une quizaine de Dapps musicales, dont trois dans le métavers - des projets “sortis de nulle part”, ou plutôt surgis de toute part, qui ont demandé à se plugger en Allemagne, en Inde ou en Australie.